2
EDITORIAL
Le 25 octobre dernier, le Weltmuseum Wien ouvrait ses portes après des
années de travaux, livrant à l’appréciation d’un public venu en grand nombre
ses collections historiques, comptant plusieurs chefs-d’oeuvre, dans une muséographie
renouvelée. Héritier d’une longue et passionnante histoire rappelée par
Tamara Schild dans cette édition HIVER de Tribal Art magazine, cet établissement
– ou, pour mieux dire, la réfl exion d’ordre philosophique qui a sous-tendu
son processus de transformation en musée des cultures du monde – illustre à
quel point proposer un regard sur l’Autre est une affaire complexe.
La première diffi culté tient bien sûr au visage protéifome de cette altérité,
manifeste dans la diversité formelle et la profondeur chronologique du patrimoine
artistique issu des sociétés traditionnelles d’Afrique, d’Océanie, d’Asie et
des Amériques. Faire état de cette richesse à travers une présentation muséale
est déjà un défi de taille auquel de nombreux musées se sont confrontés – souvent
avec succès, d’ailleurs – dans la dernière décennie ! Mais parler de l’Autre
soulève une autre question presque plus délicate encore, à savoir celle de notre
propre positionnement vis-à-vis de cette réalité, et donc de notre propre responsabilité
dans la construction du discours s’y rapportant.
En effet, pas d’objectivité absolue quand il s’agit de raconter ce qui nous est étranger ! Même lorsque
l’on revêt le costume du portraitiste virtuose il est impossible de résister à la tentation de projeter sur la
toile sa vision particulière. L’exemple de Gottfried Lindauer, à qui est dédié le portfolio de ce numéro,
est là pour illustrer cette idée. Portraitiste le plus prolifi que et célébré de Nouvelle-Zélande, où il émigra
en 1874, Lindauer fut l’auteur d’une galerie de portraits de personnalités maories, dont la profusion
de détails d’une part et, de l’autre, la pratique avérée de la peinture suivant un modèle photographique
laissaient croire à une fi délité sans faille vis-à-vis du sujet artistique. Et pourtant, il se dégage de ces
images imposantes une solennité idéalisée pouvant faire écho aux inquiétudes manifestées par plusieurs
personnes proches de l’artiste quant à la pérennité de la société maorie.
On comprend, dès lors, que les initiatives cherchant à intégrer les visions des peuples autochtones
dans la construction des différents récits sur les arts et coutumes des sociétés dont ils émanent comme
stratégie pour amoindrir les effets de distorsion se fassent chaque fois plus nombreuses. La galerie des
Amériques récemment ouverte au musée de Rouen en est l’un des derniers exemples en France. Aussi
louables et nécessaires soient-elles, ces initiatives n’évitent pas totalement l’écueil de la subjectivité,
tout individu étant le fruit d’un contexte et porteur d’une vision sur le monde. Assumant ce relativisme,
nous nous efforçons de notre côté, numéro après numéro, d’appliquer notre « mantra » : esprit
critique, pluralité et sensibilité, pour offrir à nos lecteurs des visions les plus respectueuses et ouvertes
possibles de ces réalités autres que nous ne parvenons pas toujours à saisir dans toute leur complexité,
mais dont nous ressentons l’importance et la richesse.
Elena Martínez-Jacquet
Notre couverture illustre une
coiffe aztèque du Mexique central
datant du début du XVII siècle.
Ex-coll. du Château d’Ambras.
Weltmuseum Wien, inv. 10.402.
© KHM Museumsverband.