
où nous avons atteint un modèle consumériste qui
est en train d’arriver au bout de ses contradictions.
Dans ce contexte, la redécouverte de cultures que
l’on avait classées comme inférieures et qu’on avait
méprisées – en l’occurence ici les sociétés africaines,
mais cela vaut pour bien d’autres cultures –
peuvent nous aider à nous remettre en question et
à ouvrir de nouvelles perspectives. Pour cela, il me
semblait fondamental de fuir l’approche anthropologique
qui prévaut encore dans notre domaine. Il
s’agit d’un regard décalé qui, à mes yeux, exotise
les objets et en tue la magie.
La perspective africaine que nous avons adopté
répond, entre autres, à ce besoin de dépasser ces
débats et au désir de souligner l’idée que l’art
FIG. 1
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africain a déjà contribué (et continuera de le faire)
à l’histoire de l’art universelle avec des oeuvres
majeures et chefs-d’oeuvre absolus. Je pense
par exemple aux rares effi gies du héros chokwe
Chibinda Ilunga ou encore, pour citer une pièce
présentée dans IncarNations que j’aime particulièrement,
le masque kwele gon issu de la collection
de Willy Mestach. La contemplation de cet
objet si puissant malgré sa petite taille et cubiste
avant l’heure me renvoie à l’une des plus grandes
contradictions de la démarche de tout collectionneur
d’art classique africain : l’adulation d’un
objet qui n’est pas véritablement l’oeuvre, celle-ci
étant aussi performance, danse…
T. A. M. : Vos propos laissent transparaître la profonde
dimension réfl exive d’IncarNations...
Le monde est une
mascarade dansante.
Si vous voulez le
comprendre, vous
ne pouvez pas rester
debout à un seul
endroit.
Proverbe Igbo
Toutes les illustrations sont des vues
de l’exposition IncarNations,
à l’affi che à BOZAR jusqu’au
6 octobre 2019.
© Philippe De Gobert. BOZAR /
Palais des Beaux-Arts, Bruxelles.
FIG. 1 (À GAUCHE) :
Au centre de l’image,
l’oeuvre de Kendell Geers,
Twilight of the Idols (Fetish),
2002.
MUSÉE À LA UNE
Le 28 juin dernier, IncarNations, African
Art as Philosophy ouvrait au public à Bruxelles
sur le site de BOZAR. Cette exposition née de la
réfl exion et de la complicité – intellectuelle et personnelle
– entre le collectionneur d’art et mécène
d’origine congolaise Sindika Dokolo et l’artiste
sud-africain établi à Bruxelles Kendell Geers restera
à l’affi che jusqu’au 6 octobre. À travers une
sélection de cent cinquante oeuvres rendant compte
de l’importance de la collection de ce dernier, aussi
bien en termes de qualité que de diversité, c’est une
interrogation sur l’idée même d’art africain qui est
proposée au visiteur ; une invitation à le découvrir
depuis une perspective afrocentrée et à en ressentir
la force qui le traverse dans toutes ces manifestations.
À peine remis des émotions du vernissage, les
deux commissaires d’IncarNations ont eu la générosité
de se rendre disponibles pour nous parler de
la vision qui sous-tend l’événement.
3 QUESTIONS À SINDIKA DOKOLO
Tribal Art Magazine : IncarNations est une première
à bien des égards. Il s’agit de la première
exposition offrant une vision africaine sur l’art du
continent, et jamais auparavant vos collections
d’art classique – terme que vous préférez à « ancien
» ou « traditionnel » – et d’art contemporain
n’avaient été présentées sur un même plan. Qu’estce
que ce projet représente pour vous ?
Sindika Dokolo : C’est tout abord une opportunité
extraordinaire de partager ma vision intime de l’art
et mon évolution en tant que collectionneur. Il me
semble que l’art et la culture ont un rôle fondamentale
à jouer dans ce moment précis de l’histoire,