
PARIS 1931
113
de petits articles dans d’autres, avait manifestement
joué son rôle à la perfection. L’atmosphère
animée, poursuit Gallotti, contrastait fortement
avec « les salles voisines où les meubles de style,
les tapisseries du moyen âge et les pendules Louis
XV se dispersaient péniblement entre les mains
de brocanteurs au moral abattu par les rigueurs
de la crise ». Dans la salle accueillant la vente
de Miré, par contre, les spectateurs « stupéfaits »
entendaient « des prix s’élevant comme des
gratte-ciel lors de chaque passage d’étranges grisgris
ou d’une idole grimaçante ». Ces montants,
aux yeux de Gallotti, sont totalement justifiés
et démontrent que même si « le grand public »
demeure sceptique à l’égard de l’art primitif,
« le nombre de celles dont il pourrait, s’il voulait
seulement les regarder avec attention, constater la
beauté, est assez grand pour qu’il ne condamne pas
les autres et ne raille pas les artistes dont elles font
les délices. »37. La vente de Miré, en d’autres termes,
a servi de validation commerciale à la pensée esthétique
conventionnelle qui avait émergé des critiques
de l’exposition de Pigalle.
CATALOGUES NOVATEURS
Les innovations apportées par Ratton et Carré lors
de ces ventes ne se sont pas limitées à l’utilisation de
noms minutieusement sélectionnés. Durant la vogue
nègre de la fin des années 1920, des ventes cataloguées
d’objets africains, océaniens et précolombiens
avaient lieu de temps à autre à l’Hôtel Drouot38.
Toutefois, aucune de ces ventes aux enchères n’était
traitée comme un événement majeur. Les catalogues
étaient imprimés dans le format typique Drouot, sous
forme de dépliants relié en point de sellier, avec une
typographie standardisée et recouverts de feuilles de
papier coloré où étaient collées des étiquettes indiquant
le titre des ventes. Les anciens propriétaires
étaient généralement anonymes ou identifiés par des
initiales et les descriptions étaient brèves. Lors des
rares occasions où des illustrations étaient incluses,
il s’agissait de photos factuelles extrêmement serrées
sur quelques pages. Les catalogues que Ratton et
Carré produisent pour leurs ventes de 1931 marquent
une nette rupture. Chaque catalogue est impeccablement
relié et possède une couverture conçue spécialement.
Bien que les descriptions des objets soient
succinctes par rapport aux standards actuels, elles
sont considérablement plus détaillées que celles des
précédentes ventes d’art ethnographique. Ratton et
Carré rédigent aussi minutieusement les descriptions
afin de souligner l’importance relative de certains
lots. Si certaines sont de simples énumérations des
principales caractéristiques formelles, d’autres fournissent
quelques précisions d’ordre ethnographique,
des informations sur la provenance et même sur la
couleur. Dans le catalogue de la vente de Miré, une
figure assise dogon (lot 35, FIG. 54), est qualifiée de
PAGE DE GAUCHE
FIG. 54 (À GAUCHE) : Figure
assise. Dogon, Mali. Avant 1931.
Bois, perles de verre, fibres.
H. : 34,3 cm.
Georges de Miré, Paris (; Étude Bellier, Hôtel
Drouot, Paris, 15 décembre 1931, lot 35 ;
Charles Ratton, Paris; Louis Carré, Paris ;
Jacob Epstein, Londres (acquirs après 1935) ;
Carlo Monzino, Lugano-Castagnola.
Collection James Ross, New York.
FIG. 55 (AU MILIEU) : Page du
catalogue de la vente de Miré de
1931 montrant la
figure 54.
Avec l’aimable concours de l’auteur.
FIG. 56 (AU MILIEU) : Page
du catalogue de la vente
Bretonm - Éluard de 1931
montrant la figure 57.
Avec l’aimable concours de l’auteur.
FIG. 57 (CI-DESSOUS) :
Masque. Ibibio, sud du
Nigeria. Avant 1931.
Bois, corde, pigment,. L. : 34,3 cm.
André Breton ou Paul Eluard, Paris ;
Étude Bellier, Hôtel Drouot, 2 et 3
juillet, lot 223 ; Henry Wellcome,
Londres.
Fowler Museum at UCLA, don du
Wellcome Trust, inv. X65.7998.