
PORTFOLIO
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Étant donné qu’en France le statut offi ciel d’expert
implique de lourdes responsabilités juridiques et fi -
nancières, jouer un rôle de pionnier est une entreprise
risquée. Ratton décide donc d’organiser les ventes de
1931 en collaboration avec Louis Carré, un antiquaire
comme lui, mais qui est relativement mieux établi sur
le marché. Son père avait également mené une carrière
commerciale, et à l’époque où Ratton se lie d’amitié
avec Carré, vers 1930, le jeune homme de trente-deux
ans a déjà rédigé un guide sur les poinçons apposés sur
l’or et l’argent. Dans le brouillon d’une lettre de 1930,
au début de la relation commerciale entre les deux
antiquaires, Ratton exprime son admiration pour
« l’ouvrage considérable sur l’argenterie » de Carré
qu’il décrit comme « qui est un nouveau venu aux
arts primitifs mais qui est également un garçon d’une
haute culture », et qui se prépare dès lors à effectuer
les recherches nécessaires pour maîtriser parfaitement
le domaine17. La Commission des commissaires-priseurs
reconnaît offi ciellement les deux hommes en tant
qu’experts au même moment. Peut-être pour éprouver
leur collaboration, ils travaillent ensemble sur la vente
FIG. 18 (À GAUCHE) :
Masque portrait mblo. Baule,
Côte d’Ivoire. Avant 1931.
Bois, poils. H. : 27 cm (sans la barbe).
Étude Bellier, Hôtel Drouot, Paris, 7 mai
1931, lot 5 ; Madame J., Paris ; collection
privée ; Lance et Roberta Entwistle, Paris ;
collection privée européenne, 2012 ;
Sotheby’s, New York, 14 mai 2018, lot 165.
Collection privée.
Avec l’aimable autorisation de Sotheby’s.
FIG. 19 (EN BAS À GAUCHE) :
Page du catalogue de la vente
d’art d’Afrique et d’Océanie
(AAO) de 1931 montrant les
fi gures 20 et 21.
Avec l’aimable concours de l’auteur.
FIG. 20 (CI-DESSOUS) : Coupe
avec pied ajouré. Kuba, RDC.
Avant 1931.
Bois. H. : 15 cm.
Étiquettes sur la base : « 12 », « 52 »,
« Collection Lefèvre », « Charles Ratton »,
et « 5.12.87 ».
André Lefèvre, Paris ; Étude Bellier, Hôtel
Drouot, Paris, 7 mai 1931, lot 100 ;
Charles Ratton, Paris ; Loudmer, Paris,
5 décembre 1987, lot 194) ; collection
privée, France ; Christie’s, Paris, 30
octobre 2018, lot 75.
Collection privée.
FIG. 21 (À GAUCHE) :
Coupe fi gurative. Kuba, RDC.
Avant 1931.
Bois. D. : 21 cm.
Étude Bellier, Hôtel Drouot, Paris, 7 mai
1931, lot 98 ; André Lefèvre, Paris ;
Musée de l’Homme, Paris.
Musée du quai Branly - Jacques Chirac,
Paris, inv. 71.1954.23.13.
© Musée du quai Branly - Jacques
Chirac ; dist. RMN-Grand Palais/Patrick
Gries/Valérie Torre.
qu’aux marchands d’art en herbe. Bref, en 1931, un
expert dans le domaine devait constituer son corpus
de connaissances en partant de zéro.
Les recherches de Dagen montrent les efforts de
Ratton pour y parvenir 15. Il classe chaque publication
qu’il trouve, de l’article de spécialiste à la coupure de
presse ; il réalise des croquis d’objets intéressants ; il
noue des relations avec les rares universitaires qui possèdent
une expertise dans le domaine. Joseph Maes,
du musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren, en
Belgique, va s’avérer très utile, tout comme Georges
Henri Rivière du musée d’Ethnographie du Trocadéro,
à Paris. Lorsqu’il examine des objets africains,
océaniens et précolombiens, Ratton semble également
s’appuyer sur ses connaissances en matière d’antiquités
occidentales. Dans l’ébauche d’une lettre datée de
1930 conservée dans ses archives, il s’interroge sur
l’authenticité d’un bracelet en ivoire
du Bénin en se basant sur son expérience
des ivoires médiévaux occidentaux,
soit « les objets les plus
falsifi és au monde ». Selon lui, dans
les deux cas, la couleur, une « gravure
hésitante », le « toucher de la
lime » et l’incohérence stylistique
sont autant de signes révélateurs
d’une contrefaçon16.