
En 1935 naît au Congo belge
l’Association des Amis de l’Art Indigène (AAI)
qui fonde en 1936 le Musée de la Vie Indigène à
Léopoldville et crée à travers le pays des ateliers
destinés à encourager les artistes congolais.
Ces ateliers devaient permettre à des centaines
d’artistes de vivre décemment en perpétuant
une activité coutumière qu’il serait maladroit de
« laisser s’éteindre », tandis que le musée avait, lui,
pour but essentiel de « préserver le passé artistique
du Congo et de permettre aux jeunes artistes de
s’inspirer des motifs ancestraux ».
Mais les animateurs belges de ces ateliers, comme
R. Verly, étaient loin d’avoir véritablement compris
toutes les dimensions symboliques et esthétiques
de l’art traditionnel, souvent encore taxé de
« nègreries ». Bien que niant toute ingérence dans le
processus de création des artistes, les AAI leur ont
La fabrique
du « bon » artiste :
The Workshop for
60
“Good” Artists
Par / By Julien Volper
et / and Viviane Baeke
In 1935, the Association des Amis de l’Art
Indigène (AAI) was founded in Belgian Congo. A
year later, the AAI set up the Musée de la Vie Indigène
(Museum for Native Life) in Leopoldville
and established workshops throughout the country
to support Congolese artists. These workshops
enabled hundreds of artists to earn a living
and to concentrate on a traditional activity “that
would be awkward for us to allow to disappear.”
The museum’s aim was “to preserve Congo’s artistic
heritage and to give young artists the opportunity
to be inspired by ancestral motifs.”
But the Belgian facilitators of these workshops,
such as Robert Verly, by no means understood
all of the symbolic and aesthetic dimensions of
traditional art, which they often labeled “nègre-
FIG. 1 (CI-DESSOUS) : B uste « académique ». Dû à N iamb a Loemba. B as-Congo, RD C.
D éb ut des années 195 0. H. : 2 3 cm. Collecté par A. Maesen au début des années 195 0.
Inscrit en 195 3 dans les collections du MRAC, EO.195 3.74.962.
P lusieurs sculpteurs du B as-Congo réalisèrent ce genre de b uste réaliste au style
académique. D e telles piè ces rencontraient un assez grand succè s ch ez les E uropéens et,
dans les années 195 0, se vendaient b ien plus ch er q ue nombre de masques et de statues de
type dit « eth nographiq ue ».
D es b ustes académiques réalisés par des sculpteurs comme N tonio, N iamb a Loemba ou
b ien encore F uti D aniel se vendaient, à l'époq ue, entre 12 0 et 35 0 frs (l'éq uivalent de 2 1-6 3
euros). À la mê me période, un masque des bandunga réalisé par un sculpteur traditionnel
talentueux comme Lucas Lobata se vendait autour de 5 0 frs, soit 9 euros. Ces prix de vente
aux E uropéens étaient souvent supérieurs à ceux du marché local.
FIG. 1 (LEFT): “ Academic” b ust carved b y
N iamb a Loemba.
Lower Congo, D R Congo. E arly 195 0s. H: 2 3 cm.
Collected b y A. Maesen in th e early 195 0s.
Accessioned by th e RMCA in 195 3,
EO.195 3.74.962.
S everal sculptors from Lower Congo produced
realistic b usts in an academic style. Th ese were
particularly popular with E uropeans, and in th e
195 0s th ey commanded high er prices th an
so-called ”eth nographic” masks and statues.
Academic-style busts b y artists such as N iamb a
Loemba, N tonio, and F uti D aniel fetch ed b etween
12 0 and 35 0 B elgian francs (2 1–6 3 euros today).
Around th e same time, a bandunga mask b y a
sk illed traditional sculptor such as Lucas Lob ata
( righ t) would go for around 5 0 francs (9 euros).
E uropeans were usually charged h igh er prices
th an local b uyers.
FIG. 2 (À DROITE) : Masque des bandunga. Dû à Lucas Lob ata. W oyo, RD C.
D euxiè me q uart du XX e siè cle. H. : 52 cm.
Collecté par A. Maesen au début des années 195 0. I nscrit en 195 3 dans
les collections du MRAC, EO.195 3.74.9 16.
Au XX e siè cle, les masq ues des bandunga SartiFiSaient notamment à des rituels de Suri¿
cation, aux conjurations des calamités naturelles. I ls intervenaient aussi lors des funérailles
des notab les, lorsq u’un ch ef était intronisé, ainsi q u'à l'arrivée de visiteurs importants. Les
masques possédaient des noms individuels. Celui présenté ici était connu sous le nom de
mfu tshi ( la lenteur, le retard) ; une appellation q ui renvoie au proverb e suivant : « Le retard
q u'il prend est dû aux lamb eaux q u'il est allé recoudre ! ». Ce dicton vise les personnes q ui
trouvent de faux prétextes pour se tirer d’emb arras. D e fait, un h ab it en lamb eaux ne peut
décemment être recousu.