
24
Le réveil de
la Belle
aux Bois
Dormants
Souvenirs de la genèse
d’une exposition
Les Trésors cach és du musée de
Tervuren (1995)
Tout se déclencha par une froide
journée d’hiver, entre la fi n de 1992 et le début de
1993 1.Je ne travaillais au musée que depuis deux
ans et demi. Ce matin-là, Louis De Vries était venu
me voir pour parler d’un projet d’exposition qui lui
tenait à coeur. Personne encore ne se doutait alors
que ce projet allait bouleverser le cours de l’histoire
du musée…
Le projet qu’il me soumettait n’était ni plus ni
moins que de mettre sur pied une grande exposition
sur les chefs-d’oeuvre que recelaient nos réserves.
L’idée me séduisit immédiatement. Je pris
rendez-vous avec le directeur, Dirk Thijs van den
Audenaerde, pour que Louis De Vries puisse la lui
soumettre2.
Malgré mon enthousiasme, je redoutais quelque
peu les réactions que susciterait ce projet. Et pour
comprendre mes appréhensions, il faut se reporter
quelque huit ans en arrière. En 1984, Dirk Thys
van den Audenaerde ainsi que quelques autres
chercheurs du musée présentèrent le patrimoine
artistique du musée aux lecteurs de la revue Openbaar
kunstbezit Vlaanderen3.
Dans son introduction, Thys prévient d’emblée :
« C’est pour moi une tâche singulière et diffi cile de
présenter au public de Openbaar kunstbezit Vlaanderen
le musée royal de l’Afrique centrale, parce
que ce musée n’est en fait pas un musée d’art, c’està
dire qu’il n’a pas été créé pour collecter des chefsd’oeuvre,
ni destiné à les héberger et les exposer à
un public4».
Un peu plus loin, il ajoute que « d’une certaine
manière, les objets ethnographiques exposés dans le
musée ne sont pas des oeuvres d’art, mais des objets
utilitaires ordinaires (gewone gebruiksvoorwerpen),
des témoins matériels de la culture des
peuples étudiés »5. Et il précise que cela concerne
autant les objets du quotidien, tels les peignes ou
les couteaux, que les objets rituels, tels les masques
ou les fi gures d’ancêtres. Il concède cependant que
certains sculpteurs conféraient à leurs objets des
« formes harmonieuses et une fi nition raffi née, si
bien que l’on peut alors les qualifi er décemment
d’oeuvre d’art plutôt que d’objet utilitaire » 6.
Du bout des lèvres, donc…
Malheureusement, ce brillant zoologue n’était
pas seul, dans les années quatre-vingts, à partager
encore cette manière de voir. Heureusement,
d’autres voix (et voies) scientifi ques belges se faisaient
entendre. Dès les années quarante, Frans
FIG. 1 (CI-DESSUS) :
V ue de l'ancienne salle d'art du
MRAC. 2 012.
FIG. 1 (ABOVE):
V iew of th e old gallery at th e
RMCA. 2 012.