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HISTOIRE d’objet 126 FIG. 6 : Version de l’emblème des Seahawks de Seattle utilisée de 2002 à 2012. FIG. 7 : Sealths’s Hawk (2014), une interprétation de l’emblème des Seahawks suivant l’esthétique des Salish de la côte due à l’artiste Shaun Peterson (Qwalsius). Avec l’aimable autorisation de Qwalsius Studio. D’après certains échos, le fondateur du Hudson Museum, l’anthropologue Richard Emerick, savait que le masque avait inspiré l’emblème des Seahawks, mais le musée ne disposait d’aucun document écrit à ce sujet. Le masque avait été exposé les années précédentes, mais toujours en position ouverte, de sorte que sa ressemblance avec l’emblème des Seahawks ne sautait pas aux yeux. D’après son style, nous pensons que le masque a été fabriqué à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle par un artiste du peuple Kwakwaka’wakw (également appelé Kwakiutl) travaillant à mi-chemin entre l’Alaska et Seattle dans le nord-est de l’île de Vancouver. Il s’agit d’un masque à transformation représentant un aigle surnaturel (ou un oiseau de tonnerre) lorsqu’il est fermé. La face intérieure possède un visage humain, révélé quand le masque s’ouvre lors d’une danse. Bruce Alfred, membre du Namgis Band des Nations Kwakwaka’wakw, a récemment examiné le masque. Ce fut l’occasion pour lui d’expliquer comment un danseur pénétrait dans la grande maison en le portant en position fermée et dansait autour du feu dans le sens inverse des aiguilles d’une montre en imitant les mouvements d’un grand rapace tandis que la lueur des flammes se reflétait dans les yeux miroitants du masque. À un moment donné, les tambours accéléraient le rythme et le danseur, dans un geste spectaculaire, ouvrait le masque et révélait le visage humain dissimulé à l’intérieur, surplombé par l’oiseau. Nous ignorons quand et dans quelles circonstances le masque a quitté son contexte indigène, mais les traces et les marques qu’il présente en surface indiquent qu’il a été utilisé lors de cérémonies avant d’être vendu. Quelque temps après, il a été fixé sur une plaque en bois similaire à celles utilisées pour les têtes d’animaux empaillées. Cette plaque porte une étiquette mentionnant un numéro d’inventaire qui nous informe qu’en 1910 le masque se trouvait en possession de la Fred Harvey Company, une société qui commença à vendre de l’art amérindien en 1901, dans des hôtels et des restaurants à travers le sud-ouest américain. La trajectoire du masque pendant les quelques décennies suivantes est relativement mystérieuse, mais nous savons que peu de temps après juillet 1941, il a fait partie de la collection du dadaïste et surréaliste allemand Max Ernst. Il est fort possible que ce dernier l’ait acheté à Julius Carlebach ou au Gustave Heye’s Museum of the American Indian alors qu’il vivait à New York, entre 1941 et 1946. Un important ensemble d’objets de la Harvey Co et dont Carlebach avait été le fournisseur a été acquis par le musée au fil des années10 . Ernst est connu pour avoir « découvert » la galerie de Carlebach en 1941 et aussi – tout comme d’autres surréalistes en exil, notamment André Breton, Roberto Matta, Georges Duthuit, Isabelle Waldberg et Enrico Donati, ainsi que Robert Lebel11 et Claude Lévi-Strauss – pour avoir acheté d’importants objets inuit, de la Côte nord-ouest, du Sud-Ouest et aussi des pièces précolombiennes à Carlebach ou au Heye’s Museum pendant cette période 12. Fin 1946, Betty Parsons et Barnett Newman (à l’époque lui-même surréaliste) organisèrent l’exposition inaugurale de la galerie new-yorkaise de Parsons, un lieu qui deviendra célèbre pour sa promotion de l’expressionnisme abstrait. Cette exposition s’intitulait Northwest Coast Indian Painting et comportait seize pièces empruntées à l’American Museum of Natural History et quatre à la collection d’Ernst. Parmi celles-ci, un « masque à double face, Kwakiutl, île de Vancouver »13. Il s’agit probablement du même masque, bien que nous attendions encore une photo de confirmation à l’heure d’écrire ces lignes14. Comme mentionné plus haut, le masque a été publié par Robert Bruce Inverarity en 195015. Vers 1970, l’objet en question fut acquis par le collectionneur de Los Angeles Proctor Standford16. William P. Palmer acheta à son tour la pièce avant sa mort en 1982, année à laquelle le masque et toute la collection de Palmer devint la propriété du Hudson Museum. L’objet fut exposé lors de Symbols of Prestige: Native American Arts of the Northwest Coast from Los Angeles Collections, qui se tint au Los Angeles County Museum of Art en 198517. Grâce à une brillante campagne de financement participatif, le masque fut prêté à l’automne 2014 au Burke Museum de l’université de Washington, où il est exposé en ce moment dans Here & Now: Native Artists Inspired, à l’affiche jusqu’au 27 juillet 2015 (fig. 5). Cette exposition célèbre le dixième anniversaire du Bill Holm Center pour l’étude des arts indigènes de la Côte nord-ouest et s’attache à coupler des oeuvres historiques et contemporaines d’artistes indigènes. Le masque est associé à l’emblème des Seahawks, seule oeuvre de l’exposition dont l’auteur n’est pas un artiste indigène. Étant donné que Seattle se situe sur les terres traditionnelles des Salish de la côte


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