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2 Éditorial Alors que nous glanions toutes sortes d’informations intéressantes susceptibles de nourrir la rubrique d’actualité de ce numéro Printemps, nous recevions en avant-première grâce à Laurence Mattet (directrice générale du musée Barbier-Mueller de Genève que nous remercions) l’introduction du catalogue de la prochaine et attendue exposition du musée : Arts du Nigeria revisités. Signé Nigel Barley – anthropologue africaniste que l’on ne présente plus et collaborateur assidu de la publication Arts et Cultures dudit musée – le texte en question commence avec une phrase dont la portée n’a pas manqué de nous interpeller car elle soulève une problématique à laquelle nous sommes sensibles et qui – étonnante coïncidance (ou pas !) – se trouve au coeur de ce volume 75 de Tribal Art magazine. On y lit : « On dit souvent qu’une bonne exposition doit “laisser parler les objets”, mais le problème pour les conservateurs des musées d’ethnographie est que les objets en question restent souvent désespérément silencieux, quand ils ne disent pas tout simplement ce qu’on cherche à leur faire dire. » En effet, combien de fois n’a-t-on pas entendu invoquer le nom de Marcel Griaule – dont des ouvrages parmi les plus connus, comme Dieu d’eau (1948) ou encore Renard pâle (1965), ont été qualifiés par certains chercheurs a posteriori d’inductions, pour ne pas dire de constructions intellectuelles – pour mettre en évidence les limites de la méthode ethnologique, et donc de ses résultats ? Et, toujours dans le même sens, combien ne nous a-t-on pas souvent rappelé que l’absence de pratique de l’écriture dans les cultures dites tribales condamnait leurs coutumes – et par extension la signification de leurs traditions artistiques, que nous admirons en Occident hors contexte – à l’oubli ? Ces avertissements ne manquent certainement pas de vérité : il ne s’agit pas là de nier l’évidente difficulté que soulève la compréhension des arts autres ! Mais nous nous résistons à admettre qu’il s’agisse là d’arts irrémédiablement « muets ». Cela reviendrait à faire peu confiance en l’aptitude de l’être humain à faire bon usage de sa capacité critique... Cette qualité, nullement universelle avouons-le, les auteurs invités à contribuer à cette édition n’en manquent pas ! Susan E. Gagliardi et Constantin Petridis, d’abord, nous livrent les clés d’une passionnante exposition récemment inaugurée au Cleveland Museum of Art, Senufo: Art and Identity in West Africa – outre le mérite d’être parvenu à réunir des pièces majestueuses – naît d’une réflexion de fond sur l’usage de l’appellation senufo communément admis depuis la fin du XIXe siècle, véhiculant l’idée d’une identité culturelle ou ethnique unique et distincte ; une idée, le lecteur l’aura bien compris, qu’il convient de réviser comme l’ont démontré des investigations récentes de terrain conduites, entre autres, par Susan E. Gagliardi elle-même. Questionner ce qui semble acquis depuis fort longtemps – les études de Maurice Delafosse sur ceux qu’il nomme les Senufo datent du tout début du XXe siècle – et retourner aux sources apparaît donc comme une voie possible pour percer le silence que déplorait Nigel Barley dans la citation évoquée plus haut. Mobiliser les outils qu’offrent la science et la technologie en est une autre qui peut s’avérer tout aussi efficace, comme cela sera magistralement dévoilé, nous n’en doutons pas, dans l’installation Anatomie du chef-d’oeuvre à l’affiche au musée du quai Branly du 10 mars au 15 mai prochain. Mais lorsque des hypothèses formulées grâce à la science – et notamment grâce au scanner à rayons X – sont à leur tour examinées et validées par l’étude des traditions orales consignées dans la littérature spécialisée – car force est de constater que l’oralité supporte bien le passage à l’écriture ! –, l’audace peut être récompensée par des résultats aussi surprenants que prometteurs pour l’avenir de la recherche. Cette démarche absolument novatrice, le Dr Marc Ghysels et Anne-Marie Bouttiaux l’ont adoptée et brillament défendue dans un travail de recherche de longue haleine apportant de nouveaux éclairages sur la statuaire en terre cuite du delta intérieur du Niger (Mali) communément connue comme « djenné » ; une production artistique particulièrement sensible car doublement décontextualisée, par son ancienneté considérable (XIIIe–XVIIe siècle) et par les fouilles clandestines dont sont issues la plupart des figures qui constituent le corpus connu. Le résultat de cette aventure née de la curiosité des chercheurs, mais aussi de leur profond amour de l’Afrique, est le dossier central – et unique à bien des égards – de ce numéro : Sogolon la scrofuleuse, un cadeau pour le lecteur et, permettez-moi de le dire, pour celle qui signe ces lignes également. Elena Martínez-Jacquet Notre couverture illustre une statue en terre cuite de la région du delta intérieur du Niger représentant un handicapé. Créée entre le XIIe et le XVIIe siècle et ayant appartenu au comte Baudoin de Grunne, la pièce figure à présent dans une collection privée. © Dr Marc Ghysels, Bruxelles. Photo : Frédéric Dehaen. Studio Roger Asselberghs, Bruxelles.


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