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Sogolon la scrofuleuse 117 leur patrimoine oral en général et à l’épopée de Soundjata en particulier. Cette possible convergence du patrimoine immatériel et matériel, dans ce cas-ci mise en lumière par la technique du scanner à rayons X, ouvre de nouvelles opportunités de recherche. Notamment parce que nous désirons aussi sortir le scanner associé aux oeuvres d’art du cliché dans lequel il s’enlise déjà et selon lequel il ne servirait qu’à vérifier l’authenticité des objets ou ne serait qu’un doublon de la radiographie. La finesse d’analyse qu’il autorise va bien au-delà de ces fonctions qui le rendent incontournable aujourd’hui, car elle nous replace d’emblée au point de départ de la création d’une sculpture, lorsque l’artiste tâtonne encore dans l’argile, le bois, la pierre ou toute autre matière que les rayons traversent sans l’altérer. En ce qui concerne les terres cuites du DIN, nous rappelons que nous soumettons notre hypothèse à la critique du monde scientifique pour le sortir de sa torpeur, vraisemblablement motivée par la crainte d’alimenter la spéculation marchande ou d’encourager des fouilles clandestines. Nous disposons aujourd’hui d’outils légaux qui permettraient de corriger l’échec de la politique qui vise à protéger ce patrimoine. On pourrait même imaginer une initiative axée sur l’étude systématique – et évidemment partagée avec le Mali – des objets qui ont quitté le territoire, mais aussi l’organisation d’une exposition itinérante qui présenterait les enjeux de manière constructive, à la manière de l’événement Vallées du Niger (1993-1996), dans lequel d’ailleurs, celle que nous appelons « Sogolon la Scrofuleuse » était exposée avec l’une des rares sculptures figuratives découvertes par les archéologues R.J. et S.K. McIntosh. Le commentaire qui l’accompagnait précisait qu’elle serait muette à jamais et voulait présenter ce mutisme comme une fatalité inéluctable puisqu’elle avait été extirpée de son contexte archéologique129. On n’a pas besoin d’avoir une épopée qui corresponde à des épisodes historiquement vérifiables ou vérifiés, pour défendre l’assomption que les terres cuites figurent parfois des personnages épiques, quand bien même ceux-ci seraient complètement fictifs. À l’instar de nombreux auteurs, nous pensons que peu de faits évoqués dans la geste de Soundjata ont réellement eu lieu130, cela n’empêche pas qu’ils aient été chantés, décrits maintes fois pour les audiences ouest-africaines, utilisés comme parangons de codes de conduite et peut-être même, c’est notre théorie ici, illustrés. Les terres cuites se déclineraient plutôt dans le registre des actions sensationnelles, merveilleuses et magiques de l’histoire. Ce sont ces événements, précisément, qui frappent les esprits, les font rêver, stimulent la mémoire, monopolisent les modèles éthiques, débouchent sur la production de proverbes et encouragent un sentiment identitaire, basé sur la satisfaction de ce que l’on peut percevoir comme une success story, celle de la reconquête d’un pouvoir injustement confisqué et celle de l’efficacité des pratiques occultes. La statuaire en terre cuite du delta intérieur du Niger démontre aussi que l’acquisition de la puissance résulte de sacrifices difficiles à concevoir. Dans l’expression de tous les maux qu’elle figure, elle métaphorise le prix à payer pour dominer. Les multiples serpents sont là pour le rappeler : en exerçant si justement cette étrange capacité d’attraction et de répulsion, ils symbolisent, avec les plaies, les pustules, les blessures et le cycle infernal des souffrances, ce qu’il faut d’abnégation pour assumer toutes les contradictions contenues dans le fait même de régner. Aux échelons les plus élevés du monde politique mande, quand le chef incorpore une fonction d’essence sacrée, le pouvoir est une plaie, en avoir c’est être pestiféré. Les quinze oeuvres présentées dans cet article ont toutes été passées au scanner à rayons X, ce qui relève d’un véritable défi logistique, surtout quand on connaît les difficultés pour déplacer les oeuvres de collections publiques du musée à l’hôpital où elles ont subi leur examen sous le regard attentif, fasciné et quelque peu inquiet de leur conservateur ! Les vidéos scans sont librement accessibles sur le site : www.scantix.com/sogolon FIG. 41, 42 et 43 : CT-scans des figures 1, 34 et 38, vues 3D opaques avec surimpressions en vert de masses ganglionnaires, d’abcès et de cicatrices d’étiologie vraisemblablement scrofuleuse. © Dr Marc Ghysels, Bruxelles.


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