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105 mande où la mère d’un individu est particulièrement chérie et respectée. « (…) parmi les enfants que cinq mille femmes peuvent par exemple, en un an, mettre au monde, on ne trouve pas plus de trois “ hommes ” en puissance, les autres étant de vulgaires incirconcis. Ah ! Qu’il est difficile d’enfanter un “ homme ” ! Parce que l’homme ne peut naître et devenir quelqu’un sans l’aide de sa mère. En effet, de même que l’enfant tient de son père sa généalogie et le prestige qui s’y attache, de même il acquiert la baraka par l’intermédiaire de sa mère. Oui, l’homme ne peut naître à “ l’insu ” de sa mère. »74 Et cela, même si ce qui ressort, aussi et surtout, de cet ethos manding, est la condition inférieure des femmes inféodées à la loi masculine75. L’autre explication serait que l’artiste, en représentant un enfant qui ceint de ses jambes les bras maternels, souhaitait sans doute démontrer l’énergie que déployait alors Soundjata pour prendre sa destinée en main ; cette solution seyait mieux au tempérament exceptionnel du héros que celle qui aurait opté pour l’attitude relâchée habituelle des enfants assoupis quand ils sont portés sur le dos. L’existence d’un épais durillon sur la sculpture du musée du mqB est un argument supplémentaire qui plaide en faveur de la figuration d’un enfant handicapé. En effet, cette callosité, développée au niveau de la rotule, est caractéristique des paralytiques qui se déplacent en prenant appui sur les genoux (fig. 27). La description de Soundjata enfant dans les différentes versions de l’épopée va également dans ce sens (voir aussi cidessus, p. 101) : « Cependant tout Niani76 ne parlait que de l’enfant perclus de Sogolon : il avait maintenant sept ans, il se traînait encore à terre pour se déplacer ; malgré l’attachement du roi, Sogolon était au désespoir. »77 « Elle Sogolon revint et trouva, assis dans son trou, son fils Magan Soundjata. Ce dernier, en effet, avait, au cours de sa longue perclusion, creusé un trou qui ne laissait voir que sa tête et ses épaules. Dans ce trou, perclus des jambes, Soundjata est resté assis dix-sept ans durant. »78 Dans certaines versions, Soundjata décide de ne pas se lever et de ne pas marcher, de dépit et de colère, parce que la naissance du fils d’une co-épouse de sa mère a été annoncée avant la sienne, pourtant antérieure ; ce qui inscrit d'emblée cet autre enfant mâle comme successeur « légitime » du roi. « Pendant sept années, il se déplaça à quatre pattes Et refusa de se lever. Ces sept années étaient passées, Et le temps fut venu pour les garçons qui devaient être circoncis de se rendre dans la case de circoncision. Les gens disaient : “ Mais Sunjata marche à quatre pattes et ne s’est pas levé. ” »79 D’ailleurs, le personnage en pied (fig. 28), manifestement de la même main que la figure 21, pourrait bien être une autre représentation de Soundjata vacillant et instable, au moment où il se met enfin debout, supporté par la barre de fer que les forgerons lui ont procurée80, ou lorsqu’il décide d’aller carrément déterrer un baobab pour laver l’humiliation de Sogolon, qui ne parvient pas à en obtenir quelques feuilles auprès de sa co-épouse81. La position du pied (déformation en « pied calcaneus ») de la figure du mqB est plus complexe à expliquer (fig. 27). Elle n’est pas physiologique dans le sens où une parésie ou paralysie des membres inférieurs entraîne le plus souvent une flexion plantaire du pied par rétraction du tendon d’Achille plutôt qu’une flexion dorsale alors entravée mécaniquement par l’agencement anatomique des os de FIG. 25 : « Maternités » sans tête portant dans le dos un personnage barbu, région du DIN, Mali. XIIIe-XVIIe s. Terre cuite à engobe ocre rouge. À gauche : H. : 32 cm. Ex-coll. Baudouin de Grunne. Collection privée. À droite : H. : 29,6 cm. Collection Kenis, Bruxelles. © Dr Marc Ghysels, Bruxelles. Photo : Frédéric Dehaen. Studio Roger Asselberghs, Bruxelles. FIG. 26 : CT-scans des statues de la figure 25, vues 3D opaques plongeantes obliques droites. © Dr Marc Ghysels, Bruxelles.


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