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DOSSIER la cheville. En revanche, d’autres paralysies peuvent être responsables de ce type de difformité, comme celles secondaires 106 à une poliomyélite anténatale. Les terres cuites du DIN nous ont habitués aux déformations en tous genres et il semble évident, au vu du corpus analysé, que la cohérence par rapport à un type d’affection n’est pas primordiale dans les maladies qui sont données à voir. Les artistes s’inspirent de la réalité, mais s’en détachent aussi délibérément et cette oeuvre-ci en est un exemple à plus d’un titre. Cependant, les éléments figurés ne le sont pas gratuitement ; ils convoquent une série d'interprétations et devaient susciter des émotions diverses en relation avec des destinées exceptionnelles, des espérances nourries ou des malheurs à éviter et à circonscrire par des techniques propitiatoires ou apotropaïques. La charge symbolique ou métaphorique de nombreux détails est indéniable, nul doute que le « vocabulaire » utilisé trouvait une résonance auprès du public de l'époque. Aujourd’hui, l'oeuvre laisse dubitatif et son décodage est complexe. Si l’artiste a décidé de prendre la liberté d’inscrire le pied en dorsiflexion (hyperflexion dorsale), peut-être lui semblait-il important d’un point de vue sémiologique d’afficher, dès le premier regard porté sur la sculpture, le tatouage en croix qui décorait la voûte plantaire et qui aurait permis de reconnaître immédiatement l’individu – dans la personne de Soundjata, selon notre hypothèse – alors que le corps et la tête étaient moins directement visibles, partiellement cachés dans le dos de la mère ? Se peut-il que cette marque ait été aussi facilement interprétée que peut l’être, à première vue et sans erreur possible, une main de Fatma ? Il n’est pas impossible non plus que l’artiste ait simplement exagéré l’atrophie du membre, pour que tout spectateur sache d’emblée qu’il se trouve en présence d’un handicapé. D’autres investigations, d’autres récits de la tradition orale ou des fouilles officielles menées par des archéologues donneront peut-être des réponses à cette énigme supplémentaire ! Il convient toutefois de dire que nous n'avons pas retrouvé ce tatouage en croix ailleurs dans le corpus analysé et qu’en particulier il n’est pas observable sur les plantes de pieds, pourtant bien exposées, de deux des représentations supposées de Soundjata (fig. 17 et 19). OSER UNE INTERPRÉTATION Si l’on admet le principe que la pièce du mqB est une maternité et, de surcroît, figurant Sogolon et son fils, cette supposition contient potentiellement deux implications. La première est qu’il serait important de rectifier la notion que les statues en terre cuite du DIN sont associées aux usages funéraires comme cela fut évoqué – de manière erronée et heureusement sous forme d’hypothèse – dans le rapport de J. Eid conservé au mqB82, ensuite repris comme un fait envisageable, voire établi, par d’autres auteurs83 et aussi mentionné pendant longtemps sur le site Internet du mqB (fig. 30). Cette erreur d’interprétation a permis d’alimenter le discours de certaines institutions muséales et académiques, frileuses à l'idée d'analyser un patrimoine culturel issu pour sa grande majorité de fouilles illégales, non seulement parce que le patrimoine en question est protégé par les conventions de l’Unesco, mais aussi parce qu’elles ne souhaitent pas être mêlées à l’exploitation d’un matériel funéraire, puisqu’il s’agirait alors de pillage de tombes. Or, à notre connaissance et hormis l’hypothèse de J. Eid, l'association entre ces oeuvres figuratives en terre cuite et des tombes ou des nécropoles n'a jamais été démontrée. Les résultats de fouilles n’ont pas non plus mis en évidence un quelconque lien direct avec un rituel funéraire84. Les jarres qui contenaient le corps des défunts se trouvaient dispersées en plusieurs endroits des quelques sites fouillés, ce qui signifie qu’il n’y avait pas de lieux spécifiques pour les inhumations85. Des offrandes funéraires existaient bel et bien mais étaient plutôt constituées de petits objets ou de parures et de perles86. Des auteurs ont envisagé l’éventualité de figures funéraires en terre cuite, cela n’a jamais été étayé87. En revanche, un certain nombre d’analyses et d’articles, FIG. 27 : CT-scans de la jambe de la figure 1. Quatre vues 3D opaques, la jambe découpée est tournée de cent vingt degrés afin de placer le talon à l’aplomb du genou. © Dr Marc Ghysels, Bruxelles. PAGE DE DROITE FIG. 28 : Homme s’appuyant sur un bâton, région du DIN, Mali. XIIe-XVIIe s. Terre cuite à engobe ocre rouge. H. : 40 cm. Ex-collection Charles B. Benenson, B.A. 1933. Yale University Art Gallery, New Haven, Connecticut. Inv. 2006.51.111. © Yale University Art Gallery.


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