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DOSSIER 102 Authentiques réflexions par Olivier Langevin, Archéomètre. Directeur du laboratoire de thermoluminescence QED Laboratoire Posons-nous une question légitime. Une question que nous devrions nous poser face à chaque oeuvre d’art. Celle de son authenticité. Cette interrogation peut paraître, il est vrai, impertinente, blessante ou offensante et peut rapidement nous faire passer pour un malotru. Je vous assure qu’elle est pourtant primordiale. Le nombre de publications pseudo-scientifiques reposant sur des objets à l’authenticité plus que douteuse est malheureusement relativement important. Il est évident que l’expertise stylistique est, et restera, primordiale. Oublions néanmoins, ce que j’appelle « l’expert pedigree ». Celui qui sans provenance sur trois générations et sans facture en francs or ne vous donnera aucun sentiment. Cet expert ne nous sert à rien. Concentrons-nous sur « l’expert amoureux », celui dont le savoir n’est pas figé et qui se sait humain. Face à un objet singulier, la typologie atteint ses limites et notre « expert amoureux » peut lui aussi se questionner plus ou moins ouvertement. Dans le cas de la culture dite « de Djenné », nous imaginons immédiatement un personnage agenouillé les bras croisés sur sa poitrine, un corps couvert de serpents ou de pustules ; le corpus est pourtant d’une variété étonnante. L’inspiration des artisans pour ne pas dire des artistes, ne semble pas, à nos yeux d’Occidentaux modernes, avoir eu de limite. Les terres cuites présentées dans l’article d’Anne-Marie Bouttiaux et Marc Ghysels sont des exemples remarquables de la richesse des cultures anciennes du Mali. La suspicion due à l’effet de surprise doit laisser rapidement place à l’étonnement pour aboutir enfin à la réflexion. La science ne doit plus rester à l’écart de ces problématiques, elle est un outil à part entière de cette réflexion. Son apport doit être parfaitement compris. La méthode de la datation par thermoluminescence semble, à bien des égards, un premier réflexe tout à fait approprié. Cette méthode consiste à calculer la dose d’irradiation naturelle reçue par une terre cuite depuis son dernier chauffage, appelée dose archéologique. Il s’agit d’une image du temps. Il faudra ensuite diviser la dose archéologique par la dose annuelle, dose reçue par la terre cuite en une année, pour déterminer la date de la dernière cuisson. Rappelons ici qu’il est important de ne pas raisonner en dates fixes, mais en intervalles de dates. N’oublions pas que la thermoluminescence dépend de phénomènes radioactifs, il s’agit bien de probabilités et non de certitudes. La dose annuelle dépend étroitement de la composition minéralogique de la terre cuite et de son terrain d’enfouissement. Le lieu de découverte restant généralement inaccessible, on comprend aisément que la dose annuelle ne peut alors être correctement mesurée et doit donc être estimée. Les terres cuites « djenné », se présentent, du point de vue de la thermoluminescence, comme un cas d’école. La zone de production de ces terres cuites, le Delta Intérieur du Niger, est géologiquement, sur les échelles de temps qui nous intéressent, extrêmement stable. Il s’agit de plaines alluvionnaires régulièrement inondées lors de la saison des pluies. Il en résulte une homogénéité certaine, que ce soit dans la composition minéralogique ou dans le milieu d’enfouissement. La dose annuelle est donc estimée de manière la plus précise possible. Il en résulte une grande fiabilité des dates obtenues, ce qui a conduit, pour la culture dite « de Djenné », à une chronologie extrêmement précise comprise entre 1100 et 1600 apr. J.-C. Malgré le crédit que l’on peut accorder aux datations par thermoluminescence des terres cuites « djenné », les oeuvres sur lesquelles s’appuie la réflexion de Sogolon la scrofuleuse ne sont accompagnées d’aucune datation précise. La raison à cela n’est autre que la prudence et la rigueur scientifique de ses auteurs. Pourtant, je vous le confirme, l’ensemble de ces terres cuites a bien été étudié par thermoluminescence. Pour des questions de logistique, différents laboratoires se sont partagés les études. Chacun d’entre eux utilisant un protocole d’étude propre, la comparaison des datations apparaît dans ce contexte un exercice d’autant plus périlleux que la complexité et la variété de présentation des résultats exigeraient, de plus, un réel travail d’homogénéisation pour le moins laborieux. Afin d’éviter tout problème d’échantillonnage – la thermoluminescence se réalisant sur des prélèvements et non sur la globalité de la pièce –, nous ne saurions que recommander une étude complémentaire par scanner à rayons X. La lecture de l’article d’Anne-Marie Bouttiaux et Marc Ghysels finira pas vous convaincre de la pertinence de l’utilisation du scanner. Outre la détection d’éventuelles restaurations, plus ou moins importantes, cette seconde étude permet de comprendre la genèse de ces objets. Lorsque les examens par thermoluminescence et par scanner conduisent à une compatibilité des résultats vis-àvis de l’époque et de la culture considérées, un grand pas vers l’authenticité est alors franchi. « L’expert amoureux » vient alors nous le confirmer. C’est une recherche pluridisciplinaire enrichissante entre les différents spécialistes qui doit aboutir à une conclusion argumentée et juste. Quant à « l’expert pedigree », évoqué précédemment, laissons-le passer à côté de la joie simple qu’apporte cet exercice.


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