DOSSIER 98 ments qui ne peuvent être traduits visuellement, certaines versions évoquent le fuseau et la quenouille lorsque la femme buffle s’adresse aux deux chasseurs qui vont la tuer, en leur donnant précisément des informations sur la marche à suivre pour y arriver51. En voici quelques extraits : « En effet, moi, buffle du Dô, aucune balle52 ne saurait me tuer ; moi, buffle du Dô, aucune balle pour buffle ne saurait me tuer … elle leva haut son fuseau et le montra aux deux chasseurs – le pouvoir de me tuer réside dans l’arme merveilleuse que voici. Mes enfants, je vous offre mon fuseau ainsi que ma quenouille. Voici mon petit arc à battre le coton à filer : mes enfants, je vous offre également cet arc. »53 S’adressant à celui des deux chasseurs qui va la tuer : « Tiens jeune homme, prends cette quenouille, prends l’oeuf que voici, va dans la plaine de l’Ourantamba où je broute les récoltes du roi. Avant de te servir de ton arc, tu me viseras trois fois avec cette quenouille, ensuite tu tireras l’arc …. »54 Fuseau et quenouille se rapportent évidemment à la technique du tissage, ainsi que les autres outils d’égrenage du coton, que Cissé et Kamissoko présentent comme « les instruments par excellence de la magie noire des femmes ».55 Par ailleurs, le tissage est aussi mis en relation directe avec FIG. 14 : CT-scans de la figure 1, vues 3D opaques prises de côté. © Dr Marc Ghysels, Bruxelles. liée à la sorcellerie et nous savons, par les différentes versions de l’épopée, que la mère de Soundjata détenait des pouvoirs magiques importants. Cette sorcellerie n’est pas à percevoir selon l’angle négatif d’individus fondamentalement nuisibles, mais au contraire en fonction d’un potentiel magique surnaturel qui peut être activé tant pour faire le bien que le mal. Nous constatons aussi avec ces premiers exemples que l’on se trouve dans le registre de l’interprétation d’un récit de base, que ce soit de la part des griots, conteurs dont la famille a entretenu, depuis des générations, une version spécifique48 ou de la part des artistes qui ont modelé l’argile des terres cuites figuratives. Ces variantes, loin de la troubler, viennent au contraire renforcer l’hypothèse d’un substrat commun en relation avec des événements historiques que la tradition orale pourrait rapidement avoir agrémenté de détails appartenant à la fabulation. Parmi les autres éléments partagés par les trois statues, mis à part la bosse dorsale – manifestement caractéristique chez Sogolon – il y a aussi cette étrange protrusion sternale. Cette dernière ne pourrait-elle pas être symbolique de la relation étroite, pratiquement fusionnelle (soeur ou double) de la mère de Soundjata avec la femme buffle (voir fig. 15) qui sème la terreur dans le Dô ? En effet, dans certains récits, la femme buffle parle de Sogolon et prévient les chasseurs que cette dernière a quelque chose sur le buste49, quelque chose de dangereux, qui peut les blesser. On est renvoyé aux pouvoirs surnaturels et, de fait, Sogolon est capable de résister aux avances de ceux qui voudraient la posséder en éjectant, d'entre ses deux seins, des piquants de porc-épic. Voici comment le récit nous en fait part : « De sa poitrine, elle éjecta deux piquants de porc-épic qui vinrent se planter en lui. Il bondit et tomba sur le sol. Il passa le reste de la nuit en dormant à l’autre bout de la chambre. À cause de ses pouvoirs occultes. »50 D'ailleurs, pour revenir prosaïquement à nos considérations d'ordre factuel et médical, tentez d'étreindre fougueusement une personne qui a une protrusion du sternum et vous comprendrez la métaphore ! Dans un autre registre, qui concerne cette fois des élé-
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