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DOSSIER Wagadou ; cette fille devait être la plus belle du pays. Parée de ses plus beaux atours, elle était conduite en cortège et en musique jusqu’au bord du puits sacré. Quand le rythme des tam-tams devenait envoûtant, le grand serpent faisait sortir du puits une partie de son corps ; il dominait alors la foule de près de dix mètres. Après avoir sorti une première fois la tête, il descendait dans le puits. On jouait de plus belle : le serpent apparaissait une deuxième fois avant de redescendre dans son antre. Quand il apparaissait pour la troisième fois, il agitait la tête, l’agitait, l’agitait, puis en redescendant, enlevait la jeune fille et l’emportait dans le puits. »104 Quelle que soit la version105, le serpent fonctionne comme une force fondamentalement protectrice et magique qui apporte 112 la prospérité. Le prix à payer pour maintenir sa bienveillance est un sacrifice humain, mais la contrepartie est immense et manifestement irremplaçable. Pour preuve, le jour où le père de la sacrifiée – ou le fiancé suivant les variations –, ne supportant pas l’idée de perdre l’être cher, décide de tuer Bida, le pays sombre dans le malheur, la sécheresse et la stérilité106. La figuration de serpents sur les sculptures du DIN doit être comprise comme une valeur positive. C’est la maîtrise d’une puissance bénéfique qui peut s’avérer dangereuse mais qui doit être apprivoisée, domestiquée, nourrie et satisfaite pour continuer à exercer son influence protectrice107. Nous savons, par exemple, par le Tarikh El-Fettah108, que lorsque Sonni Ali109, le prince songhaï, soumit la ville de Djenné vers 1470, il voulut élire son domicile dans le palais du souverain vaincu, mais en fut chassé par les reptiles qui s’y trouvaient : « Alors, ayant franchi les murs de la place, il s’installa au milieu de la résidence du Dienné-koï, avec l’intention d’y demeurer, mais il en fut chassé par les vipères, les serpents et les scorpions qui, seuls, le contraignirent à s’éloigner. »110 Plusieurs autres sources indiquent que les serpents jouaient un rôle important dans l’environnement de ces dynasties de chefs encore relativement animistes111. Nous ne sommes pas loin d’imaginer que peut-être de nombreuses sculptures du delta qui mettent en scène des ophidiens pourraient évoquer le pouvoir des familles des premiers souverains de la région. En observant la terre cuite du musée de la Nouvelle Orléans, il est difficile de ne pas penser au mythe de Bida, même si plusieurs éléments diffèrent : il s’agit d’une construction de type « case » et non d’un puits ; il y a deux serpents et non un seul, encore que des variantes insistent sur la capacité du monstre à se multiplier et à arborer jusqu’à sept têtes112 ; certaines femmes à l’intérieur de la FIG. 36 : CT-scans de la figure 37 vues 3D opaques selon deux incidences. © Dr Marc Ghysels, Bruxelles. PAGE DE DROITE FIG. 37 : Buste de femme tenant une tête de personnage barbu. Région du DIN, Mali. XIIIe-XVIIe s. Terre cuite à engobe ocre rouge. H. : 38 cm. Collection Marceau Rivière, Paris. © Marceau Rivière, Paris. Photo : Pascal Barrier.


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