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DOSSIER structure semblent être enceintes et le récit rapporte généralement 114 que Bida exigeait des jeunes filles vierges113. Cependant, ces différences ne semblent pas suffisamment pertinentes pour nous détourner du lien avec la tradition orale. En effet, la portée symbolique semble correspondre et nous sommes bien en présence d’une scène de sacrifice, probablement propitiatoire, comme celle relatée par le mythe, où il est essentiel d’offrir des êtres chers pour garantir l’efficacité du rite et bénéficier de la protection d’une entité exigeante. Par ailleurs, l’action bienveillante du reptile entraîne la prospérité, en termes de richesses et de fertilité : toutes choses qui sont surveillées de près par le pouvoir en place. Un autre précédent de convergence culture matérielle / compte rendu oral concerne l’extraordinaire statue – unique dans le corpus que nous avons étudié – du musée Barbier-Mueller de Genève, où l’on voit une parturiente en train de mettre au monde un serpent qui s’extrait de son vagin en rampant sur son ventre114 (fig. 34). Cette femme, arc-boutée en plein travail, nous oppose un visage laid et pustuleux aux sillons naso-géniens marqués. Elle est de surcroît affublée d’une bosse cervicale. Sa coiffure a vraisemblablement disparu – comme pour la fig. 10 – sous les coups répétés des instruments agraires qui l’ont scalpée alors qu’elle était encore enfouie dans le sol, ou on pourrait même concevoir qu’elle était chauve. Se pourrait il que ce soit Sogolon ? Dans certaines versions de l’épopée, Sogolon est aussi décrite comme chauve (voir p. 126). Plus elle est affectée de déformations et de plaies, plus elle semble intéressante pour opérer le passage vers la réalisation d’un destin remarquable. On la trouve parfois miraculeusement guérie en cours de route par la magie d’une intervention ancestrale115. Si cette oeuvre est censée évoquer Sogolon accouchant du futur empereur du Mali, sous la forme d’un serpent, la tradition orale nous livre à nouveau le décor de cet instant : « Soudain le ciel s’assombrit, de gros nuages venus de l’est cachèrent le soleil ; on était pourtant en saison sèche ; le tonnerre se mit à gronder, de rapides éclairs déchirèrent les nues ; quelques grosses gouttes de pluie se mirent à tomber tandis qu’un vent effroyable s’élevait ; un éclair accompagné d’un sourd grondement de tonnerre partit de l’est, illumina tout le ciel jusqu’au couchant. La pluie s’arrêta de tomber, le soleil parut. C’est à ce moment que sortit une matrone de la case de Sogolon ; elle courut vers le vestibule et annonça à Nare Maghan qu’il était père d’un garçon. »116 Il n’est pas incongru d’imaginer que Soundjata soit figuré sous les traits d’un serpent, tant l’immense pouvoir à venir, qu’il détenait dès la naissance, contenait à la fois ce potentiel vigoureux, unificateur, fécondant, fondamentalement violent et éminemment occulte117. Pour parvenir à ses fins, il fut un guerrier intraitable, téméraire et dangereux. Cette impétuosité est contenue dans les éléments extérieurs qui se déchaînent au moment de l’accouchement. Le caractère extraordinaire de cette grossesse hors du commun est généralement admis. Soundjata serait resté lové dans le ventre de sa mère de nombreuses années : de sept118 à dix-sept119 ans suivant les versions. Par ailleurs, certaines variantes de l’épopée le décrivent, encore foetus, doté d’une volonté propre et capable de sortir du ventre de Sogolon durant la nuit pour aller chasser les margouillats120… et les manger. Au bout de dix-sept années de ce manège – et parce que « Dieu le Très Haut » le décide – Sogolon se réveille et assiste à l’escapade de son fils. Elle consulte donc une sorcière avec l’aide de laquelle elle le piège, en plaçant un mortier entre ses jambes, pour l’empêcher de rejoindre l’utérus121. Cette ruse de Sogolon marque la naissance de Soundjata, naissance qui se produit, non pas quand il sort du ventre maternel, mais au moment où il ne parvient plus à le réintégrer. Il est plus aisé de concevoir une telle scène métaphoriquement par le biais d’un serpent qui se glisse subrepticement dans et hors du vagin pour aller ingurgiter au passage quelques lézards, non sans les avoir grillés au préalable ! On perçoit bien ici le passage constant de l’animal fabuleux à l’être humain exceptionnel. Soundjata, dès sa conception, est marqué du sceau d’une identité singulière, d’une personnalité indépendante, mais aussi des stigmates de cette FIG. 38 : CT-scans de la figure 39, vues 3D opaques selon deux incidences. © Dr Marc Ghysels, Bruxelles. PAGE DE DROITE FIG. 39 : Buste féminin, région du DIN, Mali. XIIIe-XVIIe s. Terre cuite à engobe ocre rouge. H. : 40,5 cm. Ex-coll. Baudouin de Grunne. Collection privée. © Dr Marc Ghysels, Bruxelles. Photo : Frédéric Dehaen. Studio Roger Asselberghs, Bruxelles.


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