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91 pagne – d’interroger le rapport à l’Autre depuis la théorie et la réfl exion académique et de regarder l’avant-garde comme un phénomène transculturel et transhistorique. Carl Einstein fut l’un des premiers à qualifi er les sculptures et masques africains d’« art » dans sa publication Negerplastik (1915). Les planches illustrées du livre, dont certaines reprennent des pièces présentes dans l’exposition du Museum Rietberg (fi g. 19), furent accueillies avec enthousiasme par les artistes d’avant-garde tels que Hannah Höch et Raoul Hausmann. Han Coray possédait également une copie de Negerplastik. À l’époque, l’appel à un renouvellement esthétique – par le truchement des formes cubiques de l’art africain – avait également une dimension politique et sociale. Carl Einstein voyait en l’art africain la base pour l’émergence d’un nouveau genre d’artiste, mais aussi tout simplement d’individu. L’importance esthétique et politique attribuée aux artefacts africains à l’aube du XXe siècle n’a pas été remise en question depuis. Cependant, elle continue de témoigner d’une perception occidentale de l’Afrique comme un continent ancré dans la tradition, échappant à l’histoire et nullement dynamique. Cette vision est contestée dans l’exposition de Zurich, notamment par l’oeuvre Portes Oranges (fi g. 20) due à l’artiste Senam Okudzeto (Ghana, Royaume-Uni, États-Unis) dont la démarche explore des pratiques et méthodes qu’elle-même qualifi e d’« afro-dada ». À l’instar des dadaïstes avant elle, Senam Okudzeto donne une nouvelle signifi cation à des objets du quotidien FIG. 17 (PAGE DE GAUCHE, À GAUCHE) : Hannah Höch. Denkmal I, série Aus einem ethnographischen Museum. 1924-1928. Collage sur carton. Berlinische Galerie. © Berlinische Galerie, photo : Anja Elisabeth Witte, 2016 ProLitteris, Zurich. FIG. 18 (PAGE DE GAUCHE, À DROITE) : Masque à cornes gu attribué au Maître de Bouafl é. Guro, Côte d’Ivoire. XIXe siècle. Bois. Museum Rietberg Zurich, RAF 466, acquis par Paul Guillaume, puis par Han Coray. © Museum Rietberg Zurich, photo : Rainer Wolfsberger. FIG. 19 (À GAUCHE) : Masque nyangbai. Toma, Guinée. XIXe siècle. Bois et pigments noirs. Museum Rietberg Zürich, RAF 21, don d’Eduard von der Heydt. © Museum Rietberg Zurich, photo : Rainer Wolfsberger. FIG. 20 (CI-DESSUS) : Vue de Portes Oranges de Senam Okudzeto. © Museum Rietberg Zurich, photo : Rainer Wolfsberger. en les utilisant comme ready-mades. L’oeuvre en question est composée de porte-oranges en métal employés par les femmes – jeunes et âgées – qui vendent des oranges au Ghana dans la rue et aux arrêts de bus. Composée d’ustensiles d’une économie féminine, l’installation s’érige comme un contre-point ironique par rapport à l’emblématique – et non exempte d’une dimension phallique – Porte-bouteilles de Marcel Duchamp (1914), et s’impose en même temps comme un symbole de l’Afrique urbaine moderne. Enfi n, il ressort de ce parcours l’idée d’une véritable égalité des manifestations artistiques quelle que soit leur origine. En cela, Dada Afrika se distingue très profondément de l’exposition programmatique Primitivism in the 20th Century, réalisée par William Rubin au MoMA en 1984. En effet, il n’est pas question ici d’en rester à une présentation d’affi nités formelles entre des oeuvres d’avant-garde des grands noms de la modernité et des objets d’Afrique et d’Océanie offerts au regard du visiteur pour avoir été des sources d’inspiration exotiques plus ou moins avérées. Dada Afrika donne à voir un dialogue entre égaux. Un échange qui, comme cela est fréquent dans la communication humaine, n’aura pas été exempt de préjugés et de malentendus mais qui, dans le cas des artistes dada, se sera toujours produit à partir du respect et de la reconnaissance de la valeur des cultures non occidentales.


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