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DOSSIER 116 vers 1935 et mit ainsi fi n à l’âge d’or des Lumbu9. Ces derniers, ne pouvant plus fabriquer le sel, trouvèrent avec leurs objets de culte une autre monnaie d’échange avec les Européens. UNE TRADITION SCULPTURALE Parmi ces objets de culte se trouvaient des statuettes présentant une ou deux charges magiques (bilongo) fi xées dans une cavité avec réceptacle rehaussé de miroir, dans l’abdomen et sur les jambes. Cet élément caractéristique rattache ce type de productions aux nkisi10 réalisés par les peuples kongo : des statues-réceptacles dotées d’un principe vital actif signifi é par le bilongo, dont se sert le nganga, devin-guérisseur « pour procurer la fécondité, favoriser les cultures, la pêche ou la chasse, guérir certaines maladies ou enrayer l’action des sorciers malfaisants (ndoki)11 ». Une sculpture de ce type très connue est celle de l’ancienne collection hollandaise Meulendijk publiée par René S. Wassing12. Marie-Louise Bastin publia quant à elle une fi gurine du même type13. Ces deux statues agenouillées, la tête légèrement rejetée en arrière avec une coiffure cruciforme, ont la même attitude sacrée, la main droite levée, un geste kongo lié à l’ordre social que décrit Robert Farris Thompson14. Une autre petite statue d’une collection privée française (fi g. 5), le bras cassé à la hauteur du coude, devait avoir cette même position sacrée. Ce personnage féminin s’apparente aux deux précédemment évoqués par sa position agenouillée, les yeux levés vers le ciel et une coiffure semblable. Le nkondi est un type de statue peu fréquent chez les Lumbu : à la différence du nkisi, il se caractérise par des morceaux de fer plat enfoncés dans la statue devant laquelle s’échangeaient des serments et des pactes d’alliance. Un beau nkondi (fi g. 6) qui a fi guré dans l’ancienne collection Josef Mueller dégage une grande force accentuée par sa charge ventrale ; il se trouve au Fowler Museum de l’Université de Californie à Los Angeles. À la lumière de ce qui vient d’être exposé, la statuaire lumbu est faite d’emprunts à d’autres traditions artistiques de l’aire kongo. Ceux-ci peuvent se manifester dans les thèmes représentés – notamment dans l’importance accordée à la fi guration de la femme (parfois en maternité), évocation du pouvoir matriarcal – dans la gestuelle –, mains levées comme nous venons de l’évoquer, mais aussi mains sur les hanches, par exemple –, ou encore dans la prééminence de certains éléments morphologiques, comme la coiffure et les yeux. Cela dit, la statuaire lumbu possède bien des traits de style particuliers, tout en nuances : les traits fi ns et réguliers du visage, des sourcils arrondis, des yeux en grain de café ou en lamelle de verre, la bouche ouverte le groupe vili, le chef de clan lumbu de Bilanga détient l’autorité, le chef de clan vili de Loango détient la royauté : « Dans le langage tribal, le Vili est roi, le Loumbou et le Pounou sont sa femme. Mais en matriarcat, c’est la femme qui commande.6 » L’histoire des Lumbu reste « obscure » avant l’arrivée des missionnaires et des colons au XIXe siècle. À la fi n du XVIIIe siècle, Louis de Grandpré, offi cier de la marine française et auteur du Voyage à la côte occidentale d’Afrique fait dans les années 1786 et 1787, décrit le port de Mayumba – où les Lumbu vivaient nombreux – comme un bon mouillage, un endroit sûr. D’après ses dires, les habitants de cette région seraient plus intelligents que ceux des autres royaumes ; ils seraient assez doux et on pouvait se fi er à eux. Ils étaient les seuls à travailler le cuivre et ils fournissaient aussi l’ivoire. Mayumba est l’un des trois ports de la côte où la traite compte jusqu’à une centaine de captifs qui venaient de fort loin, mais de « quelque endroit qu’ils viennent, ils parlent toujours la même langue et ne diffèrent que dans l’accent et la prononciation7 ». Ces esclaves partaient pour les Antilles et notamment pour Saint-Domingue. Au XIXe siècle, les rapports politiques et économiques relatifs au Gabon rédigés par les administrateurs coloniaux français sur la période 1884-1907 décrivent les habitants de la côte comme des courtiers intermédiaires entre les populations de l’arrière-pays et les navires européens. Ils colportaient des objets de curiosité, leurs idoles, des fi gures de bois sculptées d’une manière grossière et bizarre. Ils fabriquaient du sel de la côte atlantique qu’ils troquaient avec les peuples de l’intérieur contre des produits de la chasse, de l’ivoire et des produits de la cueillette comme certains bois, l’ébène, des écorces rares, le caoutchouc sauvage, de la poudre d’or et surtout des esclaves. Les Lumbu jouèrent un très grand rôle dans la traite, bénéfi ciant, par leur emplacement sur la côte, d’une remarquable rente de situation. Le port de Mayumba, spécialisé dans les produits locaux, se développa autour de 1860. En 1888, le roi Ignondrou (semble-t-il un Lumbu) commandait le Mayombe, Mayumba et une partie de Sétté- Cama ; en tant que doyen des chefs, il réglait les palabres entre chefs de clans vili et lumbu. Des clivages ethniques existaient entre Vili, Punu et Kunyi qui, tirant parti de leur proximité de la côte, tentaient d’imposer leurs conditions aux producteurs de matières premières de l’intérieur. C’est ainsi que certains marchands vili de Loango furent dépouillés de leurs ballots d’étoffe lorsqu’ils se rendaient par la côte à Setté-Cama8. Dans les années 1930, le gouvernement de l’AfriqueÉquatoriale française imposa une patente pour la production traditionnelle du sel, provoqua son arrêt défi nitif


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