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T. A. M. : Il ressort de ce que vous dites que vous semblez envisager la pratique de la collection non pas au sens classique du terme, mais plutôt comme la possibilité de constituer un dictionnaire visuel... J. B. : Ce concept de dictionnaire visuel me plaît. Vivre au milieu d’un tas de livres ouverts qui vous apprennent constamment de nouvelles choses est plus intéressant que d’être entouré d’un groupe inerte d’objets exotiques ! D’ailleurs chez moi, mes tableaux n’ont pas leur place sur les murs. Je préfère réserver l’espace disponible pour accrocher les pièces d’art tribal de ma collection. Ce sont elles qui me nourrissent intellectuellement ! T. A. M. : Dans quelle mesure ce vocabulaire infl uence-t-il votre propre travail ? J. B. : Au fi l du temps, la force dégagée par ces objets a fait naître en moi un sentiment de forme naturelle et un 140 dialogue artistique permanent. Chacun d’eux laisse une trace en moi, que j’en sois conscient ou non. Une fois de plus, les dessins narratifs sont parmi les infl uences les plus évidentes pour moi, et ce dès ma période d’étudiant dans les années 1970. L’utilisation d’images et la symbiose entre les hommes et les animaux qu’ils révèlent sont tout à fait remarquables. De même, le principe de symétrie que l’on retouve souvent dans l’art tribal – et que l’on m’avait pourtant appris à rejeter lors de mes études – ainsi que certains rapports entre les couleurs employées et des effets de matière ont également marqué certains de mes choix artistiques. Mon goût pour l’exécution d’une oeuvre directement à la main constitue une autre similitude avec les pratiques des créateurs issus de sociétés tribales, qui révèle une sensibilité pour le contenu par-delà la simplicité des formes. T. A. M. : Les parallèles sont effectivement évidents. Peuton parler de connexion spirituelle avec les objets ou d’une relation avant tout plastique ? J.B. : Pour moi, il n’existe aucune frontière tangible entre la connexion spirituelle et l’infl uence artistique, si l’on veut créer quelque chose de qualité. J’essaie d’apporter à l’art contemporain des concepts qui ont malheureusement été oubliés ou qui ont totalement disparu. La construction artistique de la plupart des oeuvres d’art contemporain d’aujourd’hui a été délibérément « décaféinée ». Dans les cultures anciennes, pour qu’un objet possède une réelle valeur, il fallait qu’il dispose d’un ingrédient fort, qui pouvait être tangible ou intangible. Dans l’art tribal, tout a un sens et rien n’est gratuit ou abstrait ; aucune oeuvre n’est insignifi ante ou futile, et encore moins créée par ennui. Je FIG. 11-13 (À GAUCHE, DE HAUT EN BAS) : Un masque yaka coloré de RDC avec, en arrière-plan, des fusils à silex chokwe d’Angola. Maquettes de kayaks inuit d’Alaska fi nement sculptés. Ensemble de masques de dance bundu des Mende de Sierra Leone. FIG. 14 (CI-DESSOUS) : Masque en fi bre tressée de Papouasie-Nouvelle-Guinée sur fond de boucliers asmat. PERSONNALITÉ PAGE DE DROITE FIG. 15-17 (DE HAUT EN BAS) : Collection de dessins sur papier des Indiens des Plaines. Perlages d’Afrique orientale et australe. Assemblage comprenant une collection de fi gures de pouvoir bakongo, un crucifi x également bakongo ainsi que plusieurs boucliers africains. Photos : José Bedia Jr, sauf mention du contraire.


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