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120 James Edward Little Marchand, faussaire et voleur maladroit La plupart des informations que nous possédons sur Little provient du capitaine Walter Fuller (fi g. 3), qui lui acheta d’abord des objets d’art puis, plus tard, voua une étrange fascination à ses contrefaçons. Une note rédigée par Fuller (fi g. 2) à l’attention de Roland Force du Field Museum – qui fi t l’acquisition de sa collection entière – évoque ce qui, d’après lui, constituait la plus extravagante des contrefaçons de Little (fi g. 1). Bien que Fuller ne disposât pas de tous les faits, qu’il eût tendance à exagérer et fût connu pour se tromper de temps à autre, ce document résume dans les grandes lignes l’histoire de Little telle qu’elle est généralement rapportée. Étiquette sur un faux de Little (F-C 4915 à Chicago.) Voici l’un des faux les plus intéressants et amusants créés par Edw. Little, dans la mesure où il ne ressemble pas du tout à un objet maori. Il s’est muni d’un spécimen authentique – une trompette tibétaine fabriquée dans un os de jambe humaine –, y a percé 4 petits trous de serrure et y a gravé avec beaucoup d’adresse et de minutie un motif « maori » dans son style caractéristique, surtout en ce qui concerne la spirale et la fi nition. J’ai dû voir seulement 2 ou 3 faux de ce genre, car incontestablement, cela demandait beaucoup trop de travail. L’un d’eux se trouve au Musée de l’Homme à Paris et est considéré comme une pièce authentique ! Little était un véritable artiste et un sculpteur doué. De métier, il était marchand et réparateur de meubles, quelque part sur la côte sud du comté de Devon. Comme activité secondaire, sa femme louait des chambres et une année, vers 1900, un célèbre marchand londonien de spécimens d’histoire naturelle et indigènes, du nom de J. B. Russell, et duquel je tiens ces informations, les loua pour sa famille, relativement par hasard. Un jour, alors qu’il examinait l’entrepôt de Little, Russell est tombé sur quelques bibelots indigènes et les a achetés. Bien que Little ne se livrât pas au commerce de ce genre d’objets, il a promis d’en chercher à l’avenir et de les fournir à Russell, espérant en faire une activité rentable. Little a rapidement maîtrisé son sujet, augmenté ses prix, s’est consacré largement à cette forme de commerce et a fait de la publicité dans Exchange & Mart, publication à travers laquelle Oldman, Beasley et moimême sommes entrés en contact avec lui. J’ai dû lui acheter mon premier objet aux alentours de 1903-1904. Quand il s’est rendu compte qu’il pouvait obtenir de bons prix pour d’anciens objets maoris de qualité, il a mis au point sa stratégie : « se procurer » un spécimen rare et en réaliser une copie à l’identique Au début du XXe siècle, les artefacts tribaux étaient encore considérés comme du ressort de l’histoire naturelle. Certains types d’objets transcendaient pourtant cette vision étriquée. C’était notamment le cas de l’art maori, admiré pour la qualité de ses décorations de surface. Déjà à cette époque, la demande était supérieure à l’offre, à tel point que des tikis en néphrite étaient fabriqués en Allemagne1 tout comme en Nouvelle-Zélande pour satisfaire le marché2. De la même manière, des oeuvres d’art des îles Marquises était confectionnées sur demande pour les acheteurs français. Aujourd’hui, avec le temps, la frontière entre le faux et l’authentique s’est souvent estompée. Il est cependant possible de reconnaître le style de certains faussaires non dénués parfois, soit dit en passant, d’un véritable talent qui aurait pu faire école. Parmi ces falsifi cateurs, Edward Little sort incontestablement du lot. Bien qu’il n’ait jamais quitté sa maison du sud-ouest de l’Angleterre pour voyager dans le Pacifi que, il est considéré comme l’un des plus célèbres et brillants faussaires en matière d’art maori. De nombreuses personnes ont effectué des recherches sur sa vie, mais peu l’ont racontée. Son histoire singulière et fascinante met en lumière à la fois les pratiques de collecte et le marché de l’art de son époque. James Edward Little (1876-1953) procurait des objets aux trois grands collectionneurs britanniques d’art tribal du début du XXe siècle, le capitaine A. W. F. Fuller, H. G. Beasley et W. O. Oldman. Il approvisionnait également, entre autres, le magnat de l’industrie pharmaceutique Sir Henry Wellcome et le colonel James Gaskell, collectionneur peu connu quoique très actif. En dépit de ses relations, Little ne passait pas pour un marchand important, mais plutôt pour un faussaire notoire. Bien qu’un seul objet – de qualité médiocre d’ailleurs – ait été identifi é avec certitude comme ayant été créé de sa main, d’innombrables pièces à l’origine douteuse lui furent pourtant attribuées. Le moment est donc venu de tenter d’éclaircir la situation et d’au moins rendre à César ce qui lui revient. Combien d’objets a-t-il sculptés luimême ? Connaissait-il l’identité des autres faussaires (James Robieson en particulier) dont il a pu vendre les oeuvres ? Qu’en est-il des pièces authentiques qu’il a vendues ? DOSSIER Par Hermione Waterfi eld FIG. 1 : Flûte tibétaine en os ornée dans le style maori attribuée à Edward Little. Angleterre, début du XXe siècle. Ex-coll. A. W. F. Fuller. Fémur humain. L. : 31,7 cm. Field Museum, Chicago, inv. 277606. Acquise par Fuller pour une livre et dix shillings en octobre 1951..


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