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2b. DOSSIER 108 2a. La terre du Khùl3 appartenait aux Teésè installés au-delà du marigot, et ce furent eux-mêmes qui proposèrent d’effectuer les sacrifi ces nécessaires afi n que Kou-Jina et sa femme puissent bâtir leur maison. D’autres familles arrivèrent de Vaàlà pour habiter ce lieu qui fut appelé Hòlí à cause de sa terre blanche, riche en sel, et dont Kou-Jina fut ensuite reconnu comme chef. Celui-ci donna au premier fi ls né sur cette terre le nom de son oncle maternel, Ithé…4 » Sans doute ai-je été d’emblée séduite par ce récit d’origine qui accorde plus d’importance aux faits qu’aux représentations sculptées, mais ce fut surtout la manière dont les relations entre l’évolution du groupe lignager et celle de son thílduù m’ont été relatées qui m’a permis de remonter à la création du style et de découvrir l’identité de ses continuateurs : « La grande fi gure au milieu, m’explique Ontoré, ce sont les Teésè d’ici qui l’ont donnée à Kou-Jina pour honorer la mémoire d’Ithé Kambou, son oncle maternel… Ils l’ont fi chée dans la terre de l’autel tout de suite après son décès… Elle porte la coiffure des grands guérisseurs de jadis. » (fi g. 3, statue 1). Ithé Kambou, l’ancêtre qui est censé n’avoir quitté Vaàlà qu’au crépuscule de sa vie, m’a été dépeint comme un fameux devin-guérisseur, l’une de ces fi gures de « maîtres rituels » dont le nom et l’autorité s’inscrivent dans la tradition. Doué d’un pouvoir prodigieux et pourvu d’une barbe virile légitimant de surcroît ses facultés singulières, il était particulièrement réputé pour ses procédures rituelles visant à contrecarrer l’apparition des « revenants », ces esprits d’enfants morts en bas âge qui, d’après la croyance, reviennent pour empêcher de futures gestations5. Aussi nombre de femmes se rendaient-elles chez lui pour conjurer de tels problèmes. L’idée de faire fi gurer au premier plan de la scène un support cultuel dédié à ce personnage de renom était donc celle des Teésè, et « personnaliser » ce support avec la représentation de la coiffure associée à leurs propres guérisseurs fut leur manière d’établir une alliance spirituelle avec les descendants d’Ithé (fi g. 6). D’après la reconstitution de l’arbre généalogique du lignage des Kou, la mort d’Ithé Kambou remonterait vers 1840, ce qui situe cette importante effi gie à la tête des oeuvres les plus anciennes connues de l’art lobi. Par son style archaïque et sa puissante monumentalité, cette statue constitue un exemple des plus prégnants de l’ancienne conception formelle propre aux Teésè du Khùl, chaque groupe teébò se distinguant par des tendances esthétiques distinctes6. Le mouvement des jambes écartées et semi-fl échies, posture typique empruntée à la danse, confère une certaine souplesse à l’austérité Djotir Kambou, l’aïeul le plus proche, dont l’esprit veillait à la survivance du groupe des vivants. Une histoire sculptée Ces statues, ces fameuses thílkõtína conçues en fonction des liens régissant l’ensemble des rapports de ce groupe birifor avec les autres, sont aussi les témoins de l’engagement de chaque génération envers l’univers sacré de leurs prédécesseurs, raccourcissant tour à tour, par leur histoire, les distances entre le présent et le passé. Cet espace longuement rêvé devenait désormais un espace perçu, vécu, une réalité sensible d’autant plus complexe qu’elle suscitait l’émergence de nouvelles questions axées sur l’aspect formel de ces supports cultuels, sur leur style unique et différencié, sur leurs sculpteurs... Ce thílduù, avec son contenu, m’apparaissait alors comme un glossaire à consulter, une toile de fond sur laquelle se peignait l’évolution d’un style lignager (fi g. 2). Dans l’obscurité du lieu j’observe Ontoré, son regard perdu sur les objets, les caressant presque… Quels souvenirs sont-ils capables de raviver en lui ? La tradition orale des Kou, telle qu’elle m’a été transmise, raconte que l’endroit, apparemment inhabité, fut découvert par deux cousins chasseurs, Birifor venant de Vaàlà, dans la région de Malba : Kou-Jina Kambou et Koumbié Dá. « … Ils avaient quitté Vaàlà avec leurs femmes à la recherche de gibier. Après avoir longuement marché, ils trouvèrent une forêt épaisse traversée d’un marigot qui abondait en animaux. Kou-Jina décida alors de s’y installer avec sa femme pour surveiller la place, tandis que Koumbié rentra à Vaàlà avec la sienne pour tôt après revenir, mais, de Vaàlà, ils ne revinrent pas… FIG. 4 et 5 : Statues dédiées à la mémoire de Kpbure Dá et de Pòobena Kambou, réalisées vers 1850 par le sculpteur teébò Wibrika Palé. Détail de la fi g. 3. PAGE DE DROITE FIG. 6 : Statue réalisée vers 1840 par un sculpteur teébò. Style archétypal dit « du Khùl », territoire situé au sud-ouest de Gaoua. Bois très dur et patine terreuse. H. : 110 cm. Collection François et Marie Christiaens. © Hughes Dubois.


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