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Le style « Holly Keko » 107 3b ±1870 2a ±1850 5 ±1940 3a ±1870 4 ±1880 1 ±1840 2b ±1850 6 ±1960 À partir des entretiens menés sur le terrain de 1984 à 1991, j’essaie aujourd’hui de reconstituer l’histoire de l’un de ces styles, créé autour de 1850 par un sculpteur teébò (sing. de teésè) à la demande des Birifor, fondateurs du village de Holly, pour leurs pratiques cultuelles (fi g. 1). Décembre 1986, village de Holly Ontoré est assis en face de moi, muet. J’observe son regard scrutateur sonder ceux des anciens se tenant à ses côtés. Derrière eux, des femmes à l’air futé attendent, elles aussi, les réactions de cette assemblée suspendue à la décision de l’aîné des Kou, lignage d’origine birifor. J’ai soigneusement pesé mes arguments, mais je sais bien que la réponse à ma question, toujours la même : « Pourrai-je cette fois voir les thílkõtína ? », demande beaucoup de temps et de réfl exion. Retour aux sources Focaliser mes recherches sur l’histoire des thílkõtína, ces grandes statues qui animent le thílduù, la chambre sacrée des maisons, depuis le contexte de leur création jusqu’à la datation de leurs installations successives, en passant par l’identité de leurs sculpteurs, est devenu pour moi la condition sine qua non pour réunir une somme d’informations utiles à la défi nition des différents styles de l’art lobi. Ce genre d’approche proprement historique enrichit l’étude esthétique de cette statuaire et peut aussi permettre par la suite le positionnement, voire la datation, au sein du parcours évolutif d’un style, d’objets hors contexte, à savoir des oeuvres appartenant aux collections publiques ou privées. Dès lors je réitère régulièrement mes enquêtes auprès des descendants des fondateurs de village pour non seulement en recueillir le récit de la fondation même, mais aussi et surtout documenter, par les entretiens et la prise d’images, l’histoire des statues abritées dans le thílduù de la maison du fondateur1. Cependant, la vision de ces supports cultuels, tout à fait possible pendant la saison initiatique du jòrò2, requiert un sévère protocole à suivre afi n que rien ne puisse entamer la sacralité du lieu qui les accueille, et le consentement du conseil des anciens du village devient alors incontournable. Et me voici donc, pour la énième fois en quelques années, à répéter ma démarche à Holly, auprès d’Ontoré Kambou, le plus âgé des descendants directs de Kou-Jina Kambou, l’ancêtre fondateur du village. Le scénario relève donc du déjà-vu, du déjà-fait : une assemblée masculine, gardant le silence, est assise en éventail autour d’Ontoré. Je le sais concentré, dans l’attente que la situation se décante. Un vague sourire semble affl eurer à ses lèvres… et je souris, car je me dis qu’aujourd’hui, peut-être, c’est enfi n le jour. Mais ce n’est fi nalement qu’en février 1988, soit plus d’un an après la susdite réunion du conseil, que j’ai eu la permission de franchir le seuil du thílduù des Kou, et de voir les statues présentifi ant les puissances des aïeuls protecteurs de ce lignage birifor à l’origine de la fondation du village de Holly. Pénétrer dans cette pièce sacrée a été une expérience unique et marquante. L’obscurité y était maîtresse, et une poussière épaisse enveloppait le lieu pour le rendre trouble, fascinant. Dans le clair-obscur, la somme des explications reçues auparavant, au fi l de mes fréquentations, se matérialisait devant moi à travers une théorie d’effi gies superbes, statues époustoufl antes de beauté et de majesté. J’étais subjuguée par la vue de cette remarquable mise en scène. L’histoire des Kou s’échafaudait depuis la présentifi cation de la puissance de l’ancêtre lointain Ithé Kambou jusqu’au dernier support cultuel consacré à la mémoire de FIG. 2 : Thílduù des Kou avec les effi gies d’ancêtres thílkõtína. Holly, 1988. Photo : Daniela Bognolo. FIG. 3 : Dessin de l’autel en fi g. 2 précisant les dates approximatives des installations successives des statues présentifi ant les puissances tutélaires des Kou, lignage birifor. Dessin de Daniela Bognolo.


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