Page 103

T76Fr_internet

101 collectés au cours d’une patrouille sur le fl euve Blackwater menée en juin 1926 afi n d’enquêter sur un massacre perpétré par des chasseurs de têtes6. L’exposition comprendra également d’autres objets majeurs collectés par des kiaps et provenant des communautés avec lesquelles ils travaillaient au sein de cette lointaine « frontière ». On peut sans peine imaginer les diffi cultés rencontrées par ces jeunes hommes, des étrangers essayant d’imposer leur autorité. Dans ses mémoires, Townsend évoque ces travers en décrivant ses tentatives de pacifi cation des peuples de la région du Sepik : « Ils étaient déterminés à poursuivre leurs vieilles traditions. J’étais déterminé à y mettre fi n. C’est devenu une sorte de jeu et ils en assimilèrent très rapidement les règles, puis les tournèrent à leur avantage tout aussi rapidement. Ils apprirent qu’ils pouvaient s’occuper de tous les préparatifs – et même faire connaître leurs intentions à l’étranger – et qu’en vertu des règles du gouvernement que j’observais, je ne pourrais prendre la moindre mesure contre eux tant qu’une opération ou un combat n’aurait eu lieu. Il m’est arrivé maintes fois d’arriver dans un village pour découvrir qu’ils y fabriquaient de nouvelles sculptures cérémoniales relatives à une expédition de chasse aux têtes ou une guerre tribale qu’ils avaient programmée. J’étais même autorisé à les voir, ainsi que les feuilles de palmier sago qui étaient cousues ensemble afi n de cloisonner une partie de la maison tambaran qui allait accueillir le fruit de leurs abominables méfaits. Dans ces moments-là, je m’asseyais parmi les anciens du village et je faisais valoir la position du gouvernement, en expliquant fermement que la vision des autorités concernant la loi et l’ordre ne permettait pas que l’on coupât des têtes ou que l’on déclarât la guerre à ses voisins. Mais cela ne changeait rien. Avec une fermeté similaire, les anciens me rétorquaient – et c’était parfaitement logique de leur point de vue – que de plus en plus de jeunes hommes dans le village n’avaient pas encore enlevé de têtes et ne pouvaient donc pas se marier ou revendiquer leur place d’adulte au sein de la communauté. – Considérez-vous mes agents comme des hommes ? leur demandais-je alors. – Oh oui, me répondaient-ils invariablement, et il est inutile de nous dire que nous ne devons pas prendre de têtes parce que vos hommes n’en ont pas prises. Ils ont leur mode de vie, nous avons le nôtre. J’étais contraint de laisser les choses en l’état, car à l’époque, il était impossible de poster suffi samment d’agents de police dans le district pour empêcher ce qui de notre point de vue était un crime alors que ces populations considéraient cela comme un mode de vie.7 » La plupart des collections australiennes d’art du Sepik sont nées dans les années 1930, au moment où les cultures de la région ont commencé à ressentir les effets négatifs de l’administration des kiaps, du travail des missionnaires et de l’impact du retour dans les villages de fermiers indigènes qui avaient goûté à d’autres modes de vie, ce qui bousculait les hiérarchies traditionnelles. E. J. Wauchope, propriétaire de plantations et recruteur de main-d’oeuvre, était un FIG. 8 : Figure de gardien paki. Village d’Audua ou Yuarima, fl euve Yuat, province du Sepik oriental, Papouasie-Nouvelle-Guinée. Début du XXe siècle. Collectée par E. J. Wauchope, 1935– 1938. Bois, coquillage, ocre, peinture et fi bres. H. : 94 cm. Australian Museum, E.46360. Photo : Stuart Humphreys, Australia Museum. Sur les quinze exemplaires connus de ces fi gures ornant le toit de certaines maisons (d’après l’auteur), seulement trois présentent des signes qui montrent qu’elles ont été exposées aux conditions climatiques pendant une durée indéterminée. Deux se trouvent dans des collections privées et onze autres en plus des deux exemplaires exposés dans Myth & Magic sont abrités au British Museum (Oc.1936.0720.175, Oc.1936.0720.176 et Oc.1936.0720.177), au Cambridge University Museum of Archaeology and Anthropology (inv. 1930.487), au musée Barbier-Mueller de Genève (inv. 4077), à l’Australian Museum, Sydney (E. 46363, E. 46364 et E. 87395 qui, selon l’auteur, est le plus ancien exemplaire survivant), à l’University of Queensland Anthropology Museum, à Brisbane (inv. 26402 et 4739, ce dernier prenant la forme unique d’un oiseau) et au Museum Victoria, Melbourne (X 47996). FIG. 9 : Quelques objets collectés par E. J. Wauchope provenant de la région des fl euves Keram et Yuat, actuellement abrités à l’Australian Museum, 1935. Avec l’aimable autorisation de la National Library of Australia. Recruteur de main-d’oeuvre et propriétaire de plantations, E. J. Wauchope collecta également une quantité considérable d’objets d’art provenant des régions bordant le cours inférieur du Sepik. Bon nombre de ses acquisitions sont rares et d’une qualité exceptionnelle. FIG. 10 : Massue. Province du Sepik oriental, Papouasie-Nouvelle-Guinée. Début du XXe siècle. Ex-coll. Charles Richmond Glover, avant 1920. Bois et fi bres. H. : 100 cm. National Gallery of Australia, 70.144. La forme de cette massue est particulièrement rare et évoque l’apparence d’un oiseau. Fig. 11 (EN BAS) : Bouchon fi guré de fl ûte wusear. Fleuve Yuat, province du Sepik oriental, Papouasie-Nouvelle-Guinée. Début du XXe siècle. Collectée par Sir William Dobell en 1949. Bois, coquillage, cheveux, ocre et fi bres. H. : 57 cm. Collection privée, Australie. Une série de ces fi gures appelées wusear est présentée dans Myth & Magic. Avec leur tête surdimensionnée se projetant en avant et leur posture agressive, elles décoraient autrefois les extrémités de longues fl ûtes de bambou. La fl ûte entière et la fi gure pouvaient être ornées de bijoux de coquillage, de plumes et d’autres éléments décoratifs, à tel point que seul le visage de la fi gure wusear demeurait visible. Chaque fl ûte munie de sa fi gure était conservée dans la maison familiale et considérée comme « l’enfant » du monstrueux crocodile, Ashin, grande créatrice et mère de tous les peuples biwat.


T76Fr_internet
To see the actual publication please follow the link above