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MUSÉE à la Une Conquête. À l’époque de l’arrivée du frère Romero plus de cent ans après, leurs communautés subissaient encore une sévère oppression religieuse et culturelle exercée par le gouvernement 84 et les responsables religieux. Après avoir quitté les Amériques avec les sculptures et les masques et les avoir fait parvenir au pape, Romero publia Llanto sagrado de la América meridional à Milan en 1693. Cet ouvrage détaillait son travail de missionnaire parmi les « Indiens de la nation Aruacos qui peuplent les montagnes de Santa Martha ».5 Il comportait une gravure (fig. 5) qui représente les cinq oeuvres apportées au pape. Elles sont nettement reconnaissables, bien que l’on ne sache pas aujourd’hui si Romero les a réellement collectées au même endroit et s’il existait un quelconque lien entre elles. Dans son essai Destrucción de templos indígenas en la Sierra Nevada de Santa Marta: siglo XVII, Carlos Alberto Uribe décrit en détail la vie de Romero, notamment son ordination en tant que prêtre à Lima et son travail ultérieur de missionnaire.6 Il contient des transcriptions d’un document notarié des Archives générales des Indes de Séville (Espagne) qui révèlent d’importants détails concernant la destruction par Romero de dix « Marias » (temples) en 1691.7 Les pratiques religieuses y sont décrites et un large éventail d’objets et d’offrandes dans les temples y sont référencés, notamment des : « idoles », flûtes, parures de plumes, sculptures en pierre, vêtements, objets décoratifs, or, argent et « instruments d’idolâtrie ».8 Il est rapporté que les missionnaires retirèrent du premier temple trois « idoles » en bois – dont deux n’étaient pas identifiées et la dernière présentait un visage de forme inconnue (de formas no conocidas) – avant de le démolir.9 Cette description pourrait faire référence aux supports en bois zoomorphes et à la figure se trouvant au Vatican. Il est possible qu’elles aient été importantes pour Romero, comme premiers et rares témoins de sa mission. À mesure que le groupe de Romero progressait, le bouche à oreille faisait son oeuvre, et il est avéré qu’il ne trouva pas d’« idoles » à son arrivée dans d’autres temples.10 D’autres pièces ont été ajoutées à la collection de la Propaganda Fide au fil du temps. Parmi elles, une ceinture wampum (fig. 7) attribuée aux habitants de la mission de la région du lac des Deux Montagnes au Québec, Canada, et donnée en 1831 au pape Grégoire XVI (1831-1846). Pour confectionner cette ceinture, près de dix mille wampum (des petites perles tubulaires violettes et blanches faites à partir de coquilles de palourdes) ont été tissées sur une trame de fibre et de fines lanières de cuir. De la fin du XVIe siècle au début du XIXe siècle, les perles, bandes et ceintures wampum furent très utilisées comme cadeaux cérémoniels et diplomatiques par les Amérindiens du Nord-Est. Néanmoins, l’on conserve aujourd’hui moins de trois cents bandes et ceintures wampum fournissent pas d’informations à propos du créateur de l’objet ou de son origine culturelle précise. Au XIXe siècle, la région du lac des Deux Montagnes était habitée par de nombreux groupes culturels et linguistiques amérindiens s’étant convertis au christianisme. Plusieurs d’entre eux furent tenus à l’origine de la ceinture lorsqu’elle arriva à Rome, notamment les Algonquins, les Nipissing, et les Iroquois.13 Malgré la documentation s’y rapportant, le père Mapelli estime que l’iconographie et la provenance de cette ceinture sont floues, ce qui en fait l’un des objets les plus étudiés de la collection du Vatican.14 La Nation Micmac du Canada l’attribue à un traité du XVIIe siècle avec le Saint-Siège.15 La signification précise de ses motifs n’a pas été rapportée. Toutefois, Becker identifie la ceinture comme étant la dernière d’une série dont l’origine remonte aux années 1650.16 À mesure que les missions catholiques s’installaient dans le monde, les oeuvres d’art et objets culturels religieux créés par les communautés converties furent envoyés à la Propagande Fide en plus grande quantité, en guise de témoignages d’une conversion totale au catholicisme et de la réussite des missions en général et des missionnaires en particulier. C’est ainsi que, dans de nombreux endroits, des objets furent volontairement sauvés des flammes qui consumaient les divinités et les ancêtres sculptés par les communautés indigènes. Trois figures des îles Gambier, situées au beau milieu du Pacifique Sud, comptent parmi les exemples les plus connus illustrant cette pratique.17 Deux d’entre elles sont incluses dans l’exposition du de Young. FIG. 7 : Détail d’une ceinture wampum avec deux personnages, probablement un missionaire et un amérindien, culture incertaine, lac des Deux Montagnes, Québec, Canada, avant 1831. Coquillages, coton et cuir. Rapporté au pape Grégoire XVI en 1831. Museo Etnologico, Vatican, inv. #107525. Photo : Scott McCue. PAGE SUIVANTE FIG. 8 (À GAUCHE) : Sculpture du dieu Tu, Mangareva, îles Gambier, Polynésie française, avant 1836. Bois. Ramenée par le Fr. François Caret à l’ordre missionnaire Picpus en 1836, et de là, incluse dans l’Exposition universelle missionnaire du Vatican en 1925. Museo Etnologico, Vatican, inv. #100189. FIG. 9 (À DROITE) : Eketea évoquant le dieu Tu, Akamaru, îles Gambier, Polynésie française, avant 1836. Bois. Ramené par le Fr. François Caret à l’ordre missionnaire Picpus en 1836, et de là, incluse dans l’Exposition universelle missionnaire du Vatican en 1925. Museo Etnologico, Vatican, inv. #100183. créées avant 1835.11 Celle du Vatican, extrêmement longue, a du exiger un grand investissement en temps et en ressources pour la fabrication des perles de coquillage, à la main ou au moyen d’une machine rudimentaire.12 Une analyse approfondie de la ceinture, menée par Marshall Joseph Becker à partir de documents du début du XIXe siècle issus de Diario di Roma et rassemblés par le Dr Giovanni Pizzorusso, décrit en détail l’arrivée de celle-ci à Rome. L’étude fait état également du cadeau envoyé en retour par le pape Grégoire XVI et de sa réception par la mission du lac des Deux Montagnes. Les documents écrits ne


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