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MUSÉE à la Une M. M. : Je pense aussi que Ratton se distingue de ses prédécesseurs 80 par l’intérêt qu’il a porté aux arts de cour, un intérêt qui n’est pas sans lien avec sa prédilection pour l’art des hautes époques. Plutôt que de choisir des oeuvres radicalement opposées à l’art occidental, il s’est intéressé à des créations naturalistes, en matériaux précieux comme l’ivoire ou le bronze ; à des oeuvres datées et témoignant d’une histoire. Sa vision était assez différente de celle privilégiée jusqu’alors et qui englobait les arts extraoccidentaux dans une même catégorie « primitive », « nègre ». Plutôt que de tirer ces arts vers l’altérité, il a essayé de renouer avec des formes de création naturalistes, voire même réalistes, plus proches de celles de l’Europe finalement. P. D. : En effet, dans l’un des rares textes autobiographiques que nous avons retrouvé dans les archives – un document de 1932-1933 – il écrit : « Les arts que l’on dit à tort primitifs. » Son idée était bien que l’art africain et océanien est aussi beau, complexe et abouti que celui d’autres époques et d’autres régions du monde. Cette notion de « primitif » lui était certainement antipathique et, dans tous les cas, il ne la reprenait pas à son compte. N’oublions pas qu’à la fin de sa vie, il a voulu donner sa collection à maintes reprises au Louvre et qu’il a essuyé des refus systématiques, ce qui n’a pas manqué de l’attrister profondément. On lui disait que ces oeuvres étaient bonnes pour le musée de la porte Dorée, mais lui n’a rien donné car il tenait au Louvre. Son idée était celle d’un grand musée des chefs-d’oeuvre de l’humanité. C’est-àdire que – et ça tout le monde l’a oublié –, lorsque le Pavillon des Sessions a enfin ouvert ses portes au Louvre en 2000, c’est le rêve de Charles Ratton qui était réalisé. T. A. M. : Après deux ans de recherches et une exposition, que vous reste-t-il à apprendre sur Charles Ratton ? P. D. : Beaucoup de choses ! Cette exposition ne prétend pas apporter un point final. Nous avons certes avancé dans la connaissance des faits entourant la vie de Charles Ratton et des livres qu’il avait pu consulter ! Au terme de ce travail, nous sommes même parvenus à nous faire une petite idée de ses affects : c’est ainsi que, par exemple, si l’on m’interrogeait sur quelle devait être son activité de prédilection, j’aurais tendance à avancer – mais je me trompe peut-être – que le moment où il prenait le plus de plaisir c’était la nuit quand, tout seul, il écrivait les notices pour les catalogues de vente et qu’il tenait son rôle d’expert, accumulant les éléments d’érudition pour décrire et expliquer les fonctions des objets. Mais le mystère entoure toujours la figure de Charles Ratton : nous ignorons encore pourquoi un petit bonhomme de Bourgogne dont le père était chapelier a quitté son Mâcon natal pour Paris, s’est pris de passion pour l’Afrique et l’Océanie et y a consacré toute sa vie ! FIG. 10 : Boîte, Kuba, République démocratique du Congo. Bois. L. : 37 cm. Ancienne collection Charles Ratton. Guy Ladrière, Paris. © photo : 100% Photo. FIG. 11 : Masque, Dan, Côte d’Ivoire. Bois. H. : 28 cm. Ancienne collection Charles Ratton. Guy Ladrière, Paris. © photo : 100% Photo.


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