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MICHAEL D. COE 131 et où « l’art contemporain » étouffe presque toutes les autres formes d’art, nous risquons de perdre la reconnaissance, durement acquise, de la dimension artistique de la culture matérielle mésoaméricaine ancienne. L’étroitesse d’esprit des archéologues s’est insinuée dans de nombreux musées, y compris dans les musées d’art. Ces derniers temps, il y a moins d’expositions impressionnantes, ce qui – ironiquement – peut contribuer à un regain d’intérêt pour les projets archéologiques. Dans certains musées, les présentoirs n’ont pas été modifiés depuis des décennies. On s’attendrait presque à y trouver des mouches mortes. Même en Amérique latine, j’ai bien peur que l’intérêt du public pour les cultures précolombiennes se soit estompé. Les enfants défilent dans les musées à l’occasion d’excursions scolaires, ils écoutent des conférences sur la science et « notre » patrimoine, mais ne reviennent pas dans ces musées. Nous risquons de nous retrouver au même point qu’il y a tant d’années, quand les objets précolombiens n’étaient appréciés, étudiés, admirés et collectionnés que par une poignée de passionnés. À cause de leurs efforts arbitraires pour protéger le patrimoine culturel, dont ils seraient les seuls garants légitimes, les archéologues ont inconsciemment entraîné une diminution de l’intérêt pour les civilisations passées. F. C. : Quelles sont les frontières de la recherche en matière d’études mésoaméricaines ? Quelle est l’étape suivante ? M. C. : Cela dépendra absolument des découvertes qui seront faites. Et, comme je l’ai dit plus tôt, de telles découvertes sont en grande partie une simple question de FIG. 7 : « L’une des 53 tours de la structure connue sous le nom de Bayon ». Planche de Gilbert Hovey Grosvenor, ed., « Scenes from every land: picturing the people, natural phenomena and animal... », National Geographic Society, Washington, D.C., 1912. Collection privée. FIG. 8 : Hugo Brehme (1882–1954), Pyramide du soleil, Teotihuacán, Mexique, vers 1920. Tirage gélatino-argentique. 9,2 x 14,3 cm. Avec l’aimable autorisation de la Throckmorton Fine Art, New York. chance. Je crois cependant qu’un jour ou l’autre nous découvrirons une caverne sèche dans la péninsule du Yucatán contenant au moins quelques codes mayas. Les excavations étaient des lieux sacrés pour les Olmèques et les Mayas, et le Yucatán en est truffé. Je m’attends également à ce que l’on fasse d’importantes découvertes le long des régions côtières de Colombie et ailleurs, notamment des découvertes qui pourraient nous éclairer sur la circulation des peuples, des produits et des idées à travers les Amériques. J’espère aussi que nous en apprendrons davantage sur la manière dont les plus anciennes civilisations comme celle des Olmèques ont influencé toutes les civilisations ultérieures, jusqu’aux Aztèques. F. C. : De quelle manière l’intérêt que vous avez développé très tôt pour Angkor et l’Asie du Sud-Est en général a-t-il façonné votre vision des Amériques, et de votre propre travail sur les civilisations anciennes de Mésoamérique ? M. C : Pour moi, les Amériques sont, en quelque sorte, un prolongement de l’Asie. Les peuples qui se sont installés ici étaient tous asiatiques. Je suis convaincu qu’il existe un lien entre les civilisations bien plus important qu’on ne le croit habituellement. Tout le monde parle sans arrêt du manque de preuves matérielles d’une relation entre le développement des civilisations d’Asie et de celles des Amériques. La vision prédominante est que ces peuples sont arrivés, nus et stupides, en traversant l’ancien pont terrestre de la Béringie. Je présume que la plupart sont arrivés par bateau. Depuis combien de temps les hommes avaient-ils et utilisaient-ils des bateaux ? L’Australie n’a jamais été reliée à l’Asie, mais elle fut colonisée il y a cinquante mille ans, très certainement par des gens arrivés en bateau. Dans le nord du Chili, on a découvert un site de colonisation datant de 1100 apr. J.-C. sur lequel des os de poulet furent trouvés. Des tests ADN ont montré que les poulets provenaient de Polynésie. Toutefois, la preuve réelle d’un important lien culturel entre l’Asie et les Amériques n’est pas matérielle : elle réside dans le domaine des idées, des croyances et des concepts. De la même manière, aucun artefact indien n’a été découvert au Cambodge, pourtant il est évident que les anciens Khmers connaissaient l’Inde dans ses moindres détails. Lorsque l’on examine des sujets comme les calendriers, les conceptions des quatre points cardinaux, le chamanisme, et même le goût commun pour les turquoises, on peut en conclure qu’il existait un lien culturel important, même incomplet, entre l’Asie et l’Amérique précolombienne. En archéologie – et probablement dans tout autre domaine –, affirmer que l’on connaît tout ce qu’il y a à connaître est une erreur. Il y a toujours des surprises.


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