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126 une cimaise face à la mezzanine centrale (fig. 7 et 9), soit un ensemble de 8,80 mètres de hauteur sur 2,20 mètres de largeur (MQB. 71.1961.103.338, 339, 340 et 70.2002.36.1). Chacun de ces éléments (mesurant entre 114 à 178 centimètres de longueur sur 41 à 70 centimètres de largeur) est une section de la base d’une palme de sagoutier. La face peinte est constituée d’une sorte de cuticule lisse alors que la face arrière est plus ou moins fibreuse. Avec le temps certaines parties de ces éléments sont devenues extrêmement fragiles et cassantes comme du verre. Ceux-ci étaient assemblés à l’aide d’éclisses de rotin passées au travers de trous. Les restaurateurs purent mettre en évidence le fait que la peinture de ces éléments avait été réalisée après leur assemblage. La technique picturale consistant à associer des registres (constitués de plusieurs éléments) ayant une couleur de fond différente, comme on peut le voir en partie basse et en partie haute, a fait débat chez les conservateurs dont certains ont même nié l’unicité de l’oeuvre. La documentation recueillie sur le terrain, à Kinakatem, en 2003 et en 2007, a permis de trancher et de constater que cette technique était une particularité de la peinture de cette région, comme le montre avec brio la cloison peinte située à l’arrière de l’autel de l’église catholique de Biwat (fig. 5). L’auteur a pu suivre le processus créatif d’une peinture comme Margaret Mead l’avait fait en 1932 avec les deux artistes créateurs de la grande peinture, Ndelong et Kaingga du village d’Akron. Deux hommes pouvaient, en effet, travailler de concert (fig. 4). Après avoir réalisé un fond, l’un d’entre eux traçait en premier l’esquisse du motif souhaité, puis, s’il était satisfait de l’effet produit, il épaississait le trait en effectuant éventuellement certaines corrections. Son acolyte pouvait alors remplir l’espace ainsi parcellisé avec les différentes couleurs choisies (noir, ocre rouge, blanc et ocre jaune), la méthode consistant à réaliser tous les motifs d’une couleur avant de passer à la suivante. Margaret Mead indique que la couleur rouge brique provient d’une terre orangée locale et évoque la fabrication de la couleur noire avec des feuilles de kare (Gnetum gnenum) mâchées avec de la chaux. Cette peinture appelée localement mboampalik ou yangndumba, constituée de vingt-cinq éléments répartis en sept niveaux et cinq registres, évoque la création de l’univers. La partie centrale représente asin, un esprit des eaux très puissant à tête étrange, sous la forme d’un crocodile mythique dans le ventre duquel se trouve un disque rouge évoquant le soleil. Les motifs sinueux qui l’entourent, comme ceux du panneau supérieur sur fond clair, sont une évocation de feuilles épineuses de pandanus et de graines flottant au milieu de l’écume. Ces décors typiques de la peinture biwat évoquent l’énergie vitale qui participe à la multiplication et la régénération de la flore et de la faune. Le panneau de FIG. 5 : Le père Charles Amia officiant devant la cloison du maître autel évoquant les motifs de la grande peinture dans l’église catholique de Biwat, août 2003. Photo © Christian Coiffier. HISTOIRE d’objet C’est en 2000, lors de la préparation de la seconde exposition sur La Korrigane au musée de l’Homme (fig. 8) que l’auteur de cet article reconstitua les pièces du puzzle éparses et vint confirmer que divers éléments de peintures mundugumor rapportés par l’expédition faisaient bien partie d’un seul et même ensemble constituant la grande oeuvre photographiée par Reo Fortune à Kinakatem en 1932. La chance lui permit de retrouver la pièce de faîtage qui, après sa vente à Drouot en 1989,4 avait été acquise par le collectionneur Paul Canfrère. Celui-ci accepta très aimablement de la prêter, ce qui permit de présenter pour la première fois au public parisien la presque totalité de l’oeuvre d’origine lors de l’exposition Le voyage de La Korrigane dans les mers du Sud. Seul manquait l’élément représentant un oiseau qui constituait à l’origine le « pied droit » à la base de la peinture. Au début des années 2000, les collections ethnographiques océaniennes du musée de l’Homme furent transférées au nouveau musée du quai Branly. À cette occasion une restauration de l’ensemble des éléments de l’oeuvre fut entreprise, à partir de février 2004, à Versailles dans les locaux du Centre de restauration des musées de France. Paul Canfrère accepta l’offre d’achat qui lui fut faite de l’élément qu’il possédait, ce qui permit d’envisager l’exposition de la peinture dans le cadre de la galerie permanente du nouveau musée du quai Branly. Ainsi, au mois de mai 2006, les éléments constituant la grande peinture furent accrochés sur FIG. 4 : Michel Wanfop et un de ses proches en train de peindre un motif traditionnel sur une infra-base de palme de sagoutier, août 2003. Photo © Christian Coiffier.


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