HISTOIRE d’objet Des bagages de Margaret Mead à ceux de la Korrigane : la curieuse histoire d'une grande peinture biwat conservée au musée du quai Branly En juin 2006, lors de l’inauguration du nouveau musée du quai Branly, de nombreux visiteurs découvrirent la nouvelle présentation de l’exposition permanente. Au débouché 124 d'un sombre couloir, ils étaient accueillis par une superbe sculpture dogon avec, à leur droite (fig.1), une gigantesque peinture sur support végétal dont le profil rappelait celui de la tour Eiffel, visible derrière elle, au travers d'une ouverture vitrée dans la structure de l'édifice conçu par l'architecte Jean Nouvel. Le public ne pouvait deviner que cette peinture était, comme de nombreux objets de ce musée, à l’origine d’une histoire complexe et peu banale, depuis sa création dans un petit village de Papouasie Nouvelle- Guinée. Ce n’est qu’en 2000, lors de la préparation de l’exposition Le voyage de La Korrigane dans les mers du Sud au musée de l’Homme, que le puzzle constitué par ces différents éléments a pu être reconstitué presque entièrement. Deux photos prises et publiées par Margaret Mead et Reo Fortune en 1932 (fig. 3) ont permis d’identifier les éléments épars de cette peinture unique au monde, conservés dans les réserves du musée de l’Homme. Une question se posait alors : comment cette peinture photographiée par les deux ethnologues avait bien pu être achetée par l’expédition française de La Korrigane quelques années plus tard, à Rabaul dans un magasin de la société Burns Philp, soit à près d’un millier de kilomètres de son lieu d’origine ? Il aura fallu à l’auteur de cet article deux expéditions en Papouasie Nouvelle-Guinée dans la région biwat, trois campagnes de recherches dans les archives de Margaret Mead à la Library of Congress de Washington et de longues heures de consultation des archives du musée de l’Homme pour éclaircir le mystère. Si l’histoire mouvementée de cette peinture a pu finalement être reconstituée, c’est également la fonction de cette oeuvre et le contexte culturel de sa création qui ont pu être recueillis auprès des anciens des villages biwat. L’his- Par Christian Coiffier toire commence en 1930, dans le petit village de Kinakatem situé sur une rive du fleuve Yuat, l’un des affluents du fleuve Sepik, dans ce qui s’appelait à l’époque Territory of Papua and New-Guinea, l’actuelle Papouasie Nouvelle-Guinée. L’administration coloniale australienne tentait de mettre un terme aux guerres tribales qui ensanglantaient épisodiquement la région. Au mois d’août 1932, le couple d’ethnologues formé par Margaret Mead et Reo Fortune venaient de terminer une recherche chez les Arapesh. Après quelques semaines de repos dans une plantation sur la côte nord, ils décidèrent de se rendre dans une région encore peu fréquentée par les Européens, la région biwat qu’ils dénommèrent à tort Mundugumor. Margaret Mead qui travaillait à cette époque pour l’American Museum of Natural History de New York collectait des objets ethnographiques. C’est le 20 octobre 1932 que l’ethnologue américaine découvrit une grande peinture sur support végétal (fig. 2) à l’intérieur de la maison du luluaï1 Andemi du village de Kinakatem. Elle acquit cette oeuvre le 23 novembre, contre des produits de traite (boutons, tissus, couteau de brousse et lames de rasoir). Après l’avoir documentée, elle la fit dresser entre deux palmiers pour que Reo Fortune puisse la photographier. Des notes dactylographiées et datées du 30 novembre apportent ainsi des informations précises sur cette peinture. Les deux anthropologues ne sont restés que dix semaines sur le terrain mais ils eurent cependant le temps de collecter plus de trois cents objets (peintures, boucliers, flûtes, sculptures, entre autres). Le 6 décembre, ils firent démonter cette peinture pour pouvoir l’emballer et la faire transporter dans une pinasse par un certain Robert Overall, un commerçant qui avait un magasin à Angoram sur le fleuve Sepik. Un croquis réalisé de la main de Margaret Mead dans son carnet de terrain montre très sommairement la répartition des éléments la constituant.
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