DOSSIER les objets qui intégraient les collections muséales n’étaient pas accompagnés d’informations exactes sur leur provenance 102 et leur fonction4, autant d’éléments primordiaux à la constitution de collections anthropologiques de qualité. En 1910, George Byron Gordon, conservateur du département d’ethnologie générale et d’archéologie américaine depuis 1903, fut nommé directeur du musée. Avec l’aide d’Henry Usher Hall, conservateur des collections ethnographiques, il améliora nettement la collection africaine, acquérant des milliers d’oeuvres durant les dix-sept années de son mandat. Pour ce faire, il s’appuya sur une stratégie unique parmi les musées de l’époque, dans le sens où les oeuvres étaient acquises par achat, en puisant largement dans deux secteurs distincts du marché de l’art : d’une part, les vendeurs européens d’objets ethnographiques, et d’autre part, les marchands d’art européens et américains. Dans une déclaration éditée en guise de préface à plusieurs numéros de la publication trimestrielle du musée, The Museum Journal, qui parut à partir de 1910, Gordon présentait « Les objectifs du University Museum »5 en quelques points : • Constituer des collections qui illustreront les prouesses de l’humanité dans le domaine de l’art et chérir et préserver cet héritage du passé. • Rassembler et préserver les arts et les traditions anciennes transmis par les peuples disparus de l’humanité. • Illustrer l’unité de toutes les races et la diversité de leur art, afin d’atteindre une compréhension meilleure et plus empathique de tous les peuples et de présenter dans une juste mesure la contribution apportée par chacun d’entre eux à la civilisation. • Promouvoir les arts et démontrer la dette de la civilisation envers l’artiste et l’artisan. Tout en mettant l’accent sur deux spécificités du PM – sa mission d’éducation et sa perspective humaniste, qui traduisaient une haute estime pour les arts, les artistes et les artisans –, cette déclaration affirme la place de choix acquise par le musée au sein du contexte plus vaste du développement des musées ethnographiques durant le dernier quart du XIXe siècle. En effet, la naissance et la croissance du marché des objets ethnographiques étaient étroitement liées au développement de la science anthropologique et des musées ethnographiques à la fin du XIXe siècle. À travers l’Europe entière, des musées ethnographiques fraîchement bâtis se livrèrent à une concurrence acharnée pour acquérir des objets. Ceux-ci étaient considérés comme les derniers vestiges du passé et de cultures appelées à disparaître du fait de l’expansion coloniale. Les musées n’accordaient pas pour autant d’importance aux qualités esthétiques des artefacts qu’ils se procuraient. Le sentiment d’urgence qui résulta de ce climat d’émulation conduisit les musées à essayer de « tout collectionner ».6 En raison de l’ampleur de la demande, les « boutiques ethnographiques » prospérèrent et les prix grimpèrent en flèche. Les musées devinrent les principaux protagonistes du développement du marché des arts africains. Ils étaient non seulement les principaux acquéreurs, mais alimentaient également le marché. En effet, certains musées, qui n’appréciaient guère de dépendre des marchands, financèrent leurs propres expéditions de collecte. Les « doublons » figurant parmi les objets rapportés étaient vendus ensuite à des intermédiaires, qui les réintroduisaient à leur tour sur le marché de l’art. Parmi les marchands les plus influents, dont les noms apparaissent dans les archives de musées ethnographiques à travers l’Europe et les États-Unis, figurent William O. Oldman et William D. Webster en Angleterre ; la société J. F. G. Umlauff à Hambourg, en Allemagne ; et Henri Pareyn d’Anvers, en Belgique. Ces marchands, que l’on peut considérer comme des grossistes, avaient recours à des pratiques commerciales qui, si l’on ne tient pas compte d’Internet, sont relativement proches de celles d’aujourd’hui : aussi se servaient-ils de photographies saisissantes et envoyaient-ils par courrier leurs catalogues pour atteindre un large public. L’année 1912 marqua un tournant important pour les acquisitions africaines au PM car le musée commença à acheter de vastes ensembles à deux de ces marchands européens (fig. 1), Oldman et Umlauff. W. O. Oldman7 fut le premier à prendre contact avec le PM en 1907 afin de lui proposer quelques objets océaniens. Une ancienne photographie prise entre 1908 et 1911 montre ce dernier entouré d’un groupe d’oeuvres de Nouvelle-Calédonie (fig. 2). La numérotation manuscrite ajoutée sur la photo ne laisse aucun doute quant à son objectif commercial, les numéros renvoyant certainement à une liste de prix accompagnant la photo. De 1907 jusqu’à sa retraite en 1927, Oldman envoya une fois par mois au PM une liste reprenant des articles en vente. Au départ simplement tapées à la machine, ces listes furent plus tard agrémentées de photos.8 En février 1912, peu de temps après la vente de trois masques epa yoruba au musée, Oldman proposa un groupe de deux mille objets à Gordon. Dans une lettre, le marchand présentait ces pièces comme une collection « complète » issue de tout le continent et sans « doublons ». Dans ce groupe figuraient les premières oeuvres congolaises achetées par le PM à Oldman. Si les armes, monnaies et objets d’usage quotidien prédominent, force est de remarquer un intérêt nouveau pour les pièces à connotations politiques et religieuses (fig. 3 et 5). Cette tendance se confirmera tout au long de la décennie suivante.
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