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DOSSIER chapeaux identiques aux casquettes cirées des marins qui se composaient de perles blanches tubulaires solidement cousues à un morceau de peau souple ; le fi l était en coton et, en ce qui concerne la fabrication, une épine se révélait aussi effi cace qu’une aiguille »3. Dans l’ouvrage qu’il publie en 1873, Georg Schweinfurth confi rme que tant les Dinka que les Nuer portaient de tels couvre-chefs4. Deux de ses dessins ont survécu, l’un montrant un homme dinka rek portant une coiffe pourvue de perles turquoise disposées autour du bord, tandis que l’autre dépeint une parure identique, à l’exception des perles, qui sont blanches5 (fi g. 1). En 1861, Samuel Baker, fondateur et premier gouverneur de l’Équatoria, province sous contrôle égyptien à l’époque, prit part à une expédition partant du Caire pour rejoindre le cours supérieur du Nil. Il remonta le Nil Blanc jusqu’au Soudan du Sud et devint en 1864 le premier Européen à visiter le lac Albert, situé dans l’actuel Ouganda occidental. Baker entreprit ce dangereux périple en compagnie de sa femme Florence, qui le suivait dans tous ses voyages. La région entourant la ville de Gondokoro dans le sud du Soudan jouait un rôle majeur en matière de traite d’esclaves, un commerce bien rodé, quoique déjà illégal à l’époque, dont les méthodes brutales seront décrites par Baker. Sous l’autorité de l’Égypte, cette pratique avait pourtant plongé la région dans le chaos. Au Soudan central, Baker rencontra un chef kytch parlant le dinka qui portait une « casquette moulant le crâne composée de perles blanches et munie d’une crête en plumes d’autruche »6 (fi g. 4). Plus tard, à Gondokoro dans le sud du Soudan, il croisa la route de John Speke et d’Augustus Grant, deux explorateurs qui revenaient du lac Victoria. Ceux-ci lui expliquèrent comment atteindre un lac encore inexploré situé plus au sud et qu’ils n’avaient pu visiter en raison d’une guerre qui venait d’éclater dans cette région7. Les marchands arabes ne voyaient pas cette idée d’un bon oeil, car Baker allait s’aventurer dans une région qu’eux seuls connaissaient. Aussi tentèrent-ils d’empêcher cette expédition. Baker suivit le convoi des Arabes à distance respectable, puis le dépassa à la nuit tombée. En dépit de ses appréhensions, Baker dut se résoudre à rejoindre une autre caravane de marchands arabes d’ivoire et d’esclaves peu avant d’arriver dans la région latooka. Cette association compliquera toutefois fortement ses échanges avec les tribus qu’il allait rencontrer. 114 Baker entra fi nalement en contact avec les Latooka (aussi appelés Latuka, Lotuko, Lotuxo) dans les hauts plateaux se trouvant à l’est du Nil. Les guerriers, grands et puissants, portaient d’impressionnants « casques » décorés, qu’il décrivit en détail : « Chaque tribu possède une manière particulière et immuable de coiffer les cheveux ; la coiffure est tellement élaborée qu’elle en devient une science … Perfectionner la coiffure d’un homme peut prendre huit à dix ans ! … Les Latooka portent des casques de toute beauté, formés par leurs propres cheveux ; et ils sont, évidemment, solidement attachés …. L’épaisse laine craquante est tissée avec une fi ne fi celle issue de l’écorce d’un arbre, jusqu’à ce qu’elle présente un enchevêtrement touffu de feutre. Tandis que les cheveux poussent au travers de cette matière dense, ils sont soumis au même processus jusqu’à former, après plusieurs années, une substance compacte similaire à une étoffe solide d’environ quatre centimètres d’épaisseur à laquelle on a imprimé une forme de casque. Un bord robuste d’approximativement cinq centimètres d’épaisseur est créé en le cousant à l’aide de fi l ; la partie avant du casque est protégée par une plaque de cuivre poli, tandis qu’une autre plaque de cuivre, représentant la moitié d’une mitre d’évêque et mesurant trente centimètres de long, façonne la crête. Une fois la structure du casque terminée, il faut encore l’orner de perles, pour autant que le propriétaire du casque soit suffi samment riche pour se permettre cette personnalisation tant convoitée. Les perles les plus utilisées sont les perles rouges et bleues en porcelaine, qui font à peu près la taille d’un petit pois. Elles sont cousues sur la surface du feutre et harmonieusement disposées en sections rouges et bleues, à tel point que le casque entier semble formé de perles ; l’élégante crête en cuivre poli, surmontée de plumes d’autruche, confère un aspect majestueux et martial à cette coiffe des plus complexes. Un casque n’est réputé achevé que lorsqu’une rangée de cauris est cousue autour du bord, de manière à former un contour solide.8 » Visuellement, ces casques rappellent des accessoires typiquement européens, dans la mesure où ils présentent quelques similitudes avec les casques recouverts de feuilles de laiton portés par les dragons et les grenadiers de la fi n du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle. Ces ressemblances suggèrent des contacts entre ces tribus et les soldats en question, hypothèse qui paraît toutefois très peu probable. Converti à l’islam, Emin Pacha (anciennement Eduard Schnitzer – « pacha » étant un titre honorifi que turc), FIG. 4 : Le Chef de Kytch et sa fi lle. Extrait de Samuel Baker, The Albert Nyanza, 1866, p. 46.


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