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158 CARL EINSTEIN LES ARTS DE L’AFRIQUE sensibles à l’enrichissement du répertoire de formes et de solutions plastiques qu’apportent les sculptures africaines. Paraît ainsi, fi nancée par Joseph Brummer, sculpteur hongrois établi à Paris, la toute première étude formelle de l’art africain. Ce texte pionnier, dense et bref, écrit dans une langue ardue, illustré de nombreuses photos d’objets (94 puis 91 dans la réédition de 1920) provenant majoritairement de collections de marchands et d’amateurs, est l’un des textes majeurs du XXe siècle. Toutefois ces illustrations ne comportaient aucune légende. Carl Einstein en expliquera plus tard, occasionnellement, les raisons matérielles : il était alors hospitalisé, blessé à la tête, et n’avait pu surveiller l’édition. Cependant, la réédition de 1920 (vu le succès remporté par le livre) ne comportera, elle non plus, aucune légende. Or la provenance de ces oeuvres est d’une très grande importance historique et esthétique, à la fois pour l’établissement du goût de l’époque et aussi pour celui de la constitution des grandes collections. Einstein sera d’ailleurs conseiller technique de quelques collectionneurs. Lui-même possédait une petite collection. On doit à Jean-Louis Paudrat, d’avoir établi, au cours d’années de minutieuses recherches, conduites initialement en collaboration avec Ezio Bassani, l’origine de ces oeuvres, leurs divers circuits et appartenances. Alors que fl eurissait le colonialisme européen, La sculpture nègre propose une approche nouvelle, et dépourvue de tout ethnocentrisme, de créations plastiques, dérangeantes et Pour le centenaire de la parution à Leipzig, en mai 1915, en pleine Grande Guerre, de Negerplastik (La sculpture nègre), sort l’ensemble des textes écrits et publiés de son vivant par Carl Einstein (1885-1940), tant en allemand qu’en français, sous le titre, apocryphe, Les arts de l’Afrique. L’auteur, j uif allemand, combattait alors dans les rangs d’une armée allemande qui s’indignait, pour certains de ses membres, de voir « des hordes de sauvages noirs » lancées dans le confl it par les Anglais et les Français. Lui comptait sur le front adverse ses amis français rencontrés à Paris, au cours de ses premiers séjours en 1905- 1907, dans la découverte commune et enthousiasmante de l’art dit « nègre » à l’époque ! Au début du XXe siècle se retrouvent, en effet, à Paris les jeunes peintres cubistes en quête de solutions plastiques à leurs problèmes de fi guration de l’espace sur la toile à deux dimensions, des artistes étrangers fascinés par l’effervescence des arts dans la capitale, des intellectuels de divers horizons qu’y attire l’air du temps (le Zeitgeist). Les objets en provenance d’Afrique par divers canaux (militaires, missionnaires, ethnographes…) se retrouvent dans les musées, dans les brocantes, sur des marchés. Ils piquent la curiosité et enfl amment l’imagination plastique des contemporains. Les premiers achats ont lieu à destination d’ateliers d’artistes, de collections d’antiquaires et d’amateurs. Carl Einstein, à la croisée des courants artistiques entre l’Allemagne et la France, reconnaît immédiatement la fonction heuristique de l’art primitif dans la naissance de la modernité. Si l’expressionnisme allemand et le fauvisme français n’ont, à son sens, retenu que la surface et les couleurs d’un certain exotisme, d’autres artistes, sont, eux, FIG. 1 : Coupe dogon, Mali. Reproduit dans “Exotische Kunst - Austellung der Galerie des Theaters Pigalle in Paris”, Die Kunstauktion, 4e année, n° 9, 2 mars 1930, p. 5. Ancienne collection Béla Hein. A fi guré à l’Exposition d’Art indigène des colonies françaises, Pavillon de Parsan, Paris, novembre 1923-janvier 1924, à l’exposition Afrique Océanie, Galerie Pigalle, Paris, février-avril 1930, à l’exposition African Negro Art, New York, The Museum of Modern Art, mars-mais, 1935. FIG. 2 (À DROITE) : Masque collecté dans le royaume de Bafum, Cameroun. Reproduit dans Afrikanische Plastik, 1921, pl.12. Ancienne collection Carl Einstein, Tristan Tzara (Nouveau Drouot, Arts primitifs Collection Tristan Tzara et divers amateurs, 24 novembre 1988, lot n°192). Par Liliane Meffre LIVRES Présentation et traduction par Liliane Meffre. Légendes des oeuvres et notes établies par Jean-Louis Paudrat. Jacqueline Chambon, 2015.


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