Page 100

•TribalPaginaIntera.indd

MUSÉE à la Une FIG. 15 : Récipient de cérémonie. Peuples Kongo ; royaume de Kongo, RDC, République du Congo ou Angola. XVIe–XVIIe siècle (inventorié en 1659). Calebasse, raphia et bois. H. : 52 cm. Kunst- und Wunderkammer des Christoph Weickmann, Ulmer Museum, Ulm, Allemagne (AV D. 74). 98 revanche, que leur contexte d’origine n’ait suscité aucun intérêt particulier dans les capitales européennes. Certains de ces objets ont d’ailleurs été rappidement assimilés à un tout autre type de production artistique, contribuant à estomper le souvenir de leur appartenance à la culture Kongo. Lorsque ces oeuvres quittèrent la région dès le XVIe siècle, elles venaient d’être créées ; elles ont, depuis, été conservées dans d’excellentes conditions. Les artefacts religieux sculptés à la même époque, quant à eux, n’ont pas fait l’objet de collectes. On sait tout de même d’eux qu’on leur reconnaissait un pouvoir spirituel, ce qui en fi t les cibles régulières de campagnes de destruction à caractère iconoclaste.11 TeXTiLes kongo : riCHesse mATÉrieLLe eT virTuosiTÉ TeCHniQue Le capitaine de navire et explorateur portugais Duarte Pacheco Pereira (c. 1460-1533) jugea les tissus kongo « si beaux que ceux fabriqués en Italie ne leur sont pas supérieurs en termes de confection ».12 Les récits des premiers échanges entre Mbanza Kongo et Lisbonne offrent la preuve que ce genre d’étoffe se trouvait parmi les cadeaux offerts par le Manikongo Jean Ier au roi Jean II de Portugal, par l’intermédiaire de Diogo Cão.13 Malheureusement, la trace de ces textiles offerts au souverain portugais a été perdue et aucun ne fi gure dans le corpus d’étoffes anciennes – summum des arts de la fi bre produits dans la région – conservé en Occident. Au Loango, la richesse et le pouvoir des individus étaient mesurés grâce à une hiérarchie établie à partir d’étoffes de production locale. Les textiles les plus remarquables étaient réservés aux membres de la cour les plus haut placés, qui les exposaient et les conservaient comme des biens extrêmement précieux. Les partenaires commerciaux européens, notamment les Néerlandais, suivaient de près l’évolution de la consommation locale, caractérisée, entre autres, par un goût pour les nouvelles variétés de textiles importés. C’est ainsi que les textiles venant de l’étranger ont fi ni par inonder les marchés régionaux, entraînant la disparition des traditions indigènes du tissage exigeant énormément de travail.14 Selon des témoignages écrits du XVIIe siècle, un seul de ces panneaux de textile africain de qualité exceptionnelle demandait quinze à seize jours de travail soutenu à un tisserand très expérimenté.15 De fi nes fi bres de raphia étaient tissées en éléments rectangulaires ou carrés sur un métier à tisser vertical à une seule barre de lisses. La face arrière était tissée en armure toile et la face avant était ornée d’éléments géométriques incorporés à la base en tissu sous forme de fl ottés de trame supplémentaires. Dès qu’un panneau achevé était retiré du métier à tisser, le tisserand le terminait en coupant et en frottant à la main des fi bres de trame spécifi ques. Tandis que les fl ottés de trame réfl échissent la lumière, les (fi g. 11). Pour obtenir cette forme, les artistes alternaient des couches avec des motifs en négatif et d’autres en positif (fi g. 10). Les artistes de la fi bre incorporaient des éléments parallèles dans la base tissée, puis introduisaient une texture nuancée et des valeurs chromatiques en coupant et en enlevant les fi bres de la surface. Quant aux sculpteurs, ils gravaient également au moyen d’herminettes et de fi ns couteaux des motifs géométriques qui se déploient en bandes horizontales et spiralées sur les défenses d’éléphant (fi g. 5, 13, 14). Le recours à un tel répertoire ornemental est fort ancien : pour preuve, des céramiques du VIIe siècle découvertes lors de fouilles réalisées dans la région et dont la surface est ornée des mêmes motifs incisés (fi g. 12). Les récits des contextes de collecte des arts anciens kongo montrent la considération de l’Occident à l’égard de cette région d’Afrique centrale. Les plus anciens de ces objets ont sans doute intégré les collections Medici à Florence en gage de reconnaissance du roi de Kongo au pape Léon X (1513-1521), anciennement Giovanni di Lorenzo de’ Medici, pour avoir nommé son fi ls Henrique évêque (fi g. 5). Une grande partie du reste du corpus d’objets connus apparaît dans les inventaires des cabinets de curiosités les plus prisés, les Kunstkammers, qui comprenaient des merveilles glanées aux quatre coins du monde. Parmi les cabinets les plus célèbres fi gurent ceux de Württemberg à Stuttgart, du duc Frédéric III de Holstein-Gottorp, de Frédéric III de Danemark à Copenhague et celui du château de Prague où était abritée la collection de l’empereur des Romains, Rodolphe II (fi g. 9).10 Les premiers artefacts kongo faisaient également partie intégrante des recherches de certains érudits et hommes de science comme Ludovico Settala à Milan, Athanasius Kircher S. J. à Rome, Sir Hans Sloane à Londres et Sir Robert Sibbald à Édimbourg. Ils occupaient aussi une place de choix parmi les trésors exotiques rassemblés par le riche entrepreneur Christoph Weickmann d’Ulm (fi g. 15). Bien qu’elles aient été appréciées au même titre que des créations européennes, des siècles plus tard les oeuvres kongo abritées dans les plus prestigieuses collections du XVIe au XVIIIe siècle tombèrent dans l’oubli ou rejoignirent des collections de moindre envergure. Par ailleurs, le système de classifi cation des objets changea dans la plupart des cabinets de curiosité en faveur d’un critère géographique. Enfi n, à partir du XIXe siècle, les objets non européens furent relégués dans l’ombre ou jugés plus appropriés aux institutions « ethnographiques » nouvellement créées à travers l’Europe dans le sillage du colonialisme. Étonnamment, ces oeuvres kongo qui étaient arrivées les premières en Europe sont les moins connues. Admirées pour leur beauté dans les milieux culturels d’élite, il semble, en


•TribalPaginaIntera.indd
To see the actual publication please follow the link above