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HOMMAGE Mon époux Philippe et moi avions pris l’habitude d’aller les voir chaque mois. Nous discutions longuement de tout et de rien, y compris de la mort, et il était très ferme pour refuser toute cérémonie. « Qu’on m’oublie » disait-il. Là, Pierre, c’est raté. Vous nous laissez tous les objets que vous avez choisis et rapportés de vos expéditions, objets que vous aimiez tant et que nous pourrons maintenant voir et admirer dans de nombreuses expositions, dans les musées et dans des collections particulières. Merci pour ces merveilleux souvenirs. Hélène Leloup Dr Monni Adams s’exprime lors de son exposition Masked Festivals of Canton Bo (Ivory Coast), West Africa organisée en 2011 à la Tozzer Library de l’université Harvard. 155 Dr Monni Adams Une autre triste disparition. Monni Adams nous a quittés le 24 décembre 2014 à l’âge de 94 ans. Née Jeanne Marie Grozanich à Portland, Oregon, le 27 octobre 1920, Monni évoquait rarement son enfance ou sa vie avant son parcours universitaire entamé au début des années 1960. Sous la direction de Douglas Fraser, elle obtient un doctorat en 1967 à l’université de Columbia dans un domaine que l’on appelait à l’époque « art primitif ». Sa thèse de six cent soixante pages, « System and Meaning in East Sumba Textile Design: A Study in Traditional Indonesian Art », repose sur un abondant travail ethnographique mené sur le terrain. Profi tant de la vague de popularité du structuralisme de Lévi-Strauss dans les années 1970, Monni publie un article fondamental en matière d’anthropologie de l’art sur la relation entre les principes de composition des motifs textiles dans l’est de Sumba et les schémas d’organisation sociale (« Structural Aspects of a Village Art », American Anthropologist, 1973). Peu de temps après son entrée à Harvard au milieu des années 1970, Monni s’éloigne de l’Indonésie et oriente ses recherches sur l’Afrique subsaharienne. Pendant près de quatre décennies, elle occupera le poste de conservatrice au Peabody Museum of Archaeology and Ethnology, où elle supervise la vaste collection du musée consacrée aux artefacts et à l’art d’Afrique. Tout au long de sa prestigieuse carrière de spécialiste et de pédagogue, Monni a toujours enseigné l’art et l’esthétique d’Afrique dans diverses institutions du nord-est des États-Unis, notamment Columbia, MIT, Wellesley, Tufts et la Harvard Extension School. Elle a également organisé plusieurs expositions majeures, comme Threads of Life: A Private Collection of Textiles from Indonesia and Sarawak (1981), Designs for Living: Symbolic Communication in African Art (1982), Heads and Tales: Adornments from Africa (1999) et Masked Festivals of Canton Bo (Ivory Coast), West Africa (2011). À la fi n des années 1970, Monni se met à collaborer régulièrement avec la revue African Arts, publiant plus de vingt articles et analyses concernant des sujets extrêmement variés, – de son essai désormais classique « Kuba Embroidered Cloth » (1978) à sa dernière contribution « Locating the Mano Mask » (2010), rédigée à l’âge de 89 ans. Vers l’âge de 65 ans, Monni démarre un nouveau projet de recherche sur le terrain parmi les Wè (Guéré) dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Elle documente les cérémonies masquées et interroge des hommes et des femmes sur l’évolution du rôle du masque dans la région de Canton Boo. Ses conclusions ont été publiés dans « Women and Masks among the Western Wè of Ivory Coast » (African Arts, 1986). L’année suivante, elle rédigera ce qui demeure aujourd’hui la dernière historiographie dans le domaine de l’histoire de l’art africain, « African Visual Arts from an Art Historical Perspective » (African Studies Review, 1987). On se souviendra de Monni pour sa contribution à l’anthropologie des arts textiles (ikat d’Indonésie, panneaux Kuba brodés, textiles appliqués fon et jupes dida tissées en raphia), son niveau d’expertise sur la relation entre le genre et les mascarades dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et ses abondantes recherches sur les masques libériens collectés dans les années 1930-40 pour le compte du Peabody Museum par le missionnaire-médecin George W. Harley. Petite par la taille, Monni était une véritable géante dans sa discipline. Intelligente, excentrique et affable à la fois, et dotée d’une créativité fulgurante, Monni manquera cruellement à tous ceux qui ont eu la chance d’étudier ou de travailler à ses côtés. À la fi n des années 1980, je me trouvais à Abidjan pour y effectuer des recherches sur le terrain dans le cadre de mon doctorat. J’ai reçu une lettre de Monni. Elle terminait en disant : « En route pour Denver afi n de livrer deux articles. J’aurai en principe beaucoup de nouvelles choses à raconter la prochaine fois – reste à savoir s’il s’agira de banalités ou de nouvelles théories sur les gratte-ciel… » Sa lettre suivante contenait bien entendu énormément de précieuses informations sur une théorie anthropologique d’avant-garde et des approches radicalement nouvelles en matière d’étude de l’art africain. En réalité, son immense intelligence ne laissait absolument aucune place à la moindre banalité. Christopher B. Steiner cette époque, Pierre et Denise vivaient de plus en plus à la campagne avec des chats, un perroquet, quelques moutons et un âne et ils y recevaient beaucoup de monde, amis et clients. À côté de la maison, un autre bâtiment avait été rénové et les hauts murs abritaient une collection de peintures, surtout d’Eugène Leroy, et des sculptures du surréaliste Benoit, des peintures objets ainsi que des objets qu’il avait rapportés de ses voyages. Il avait décidé de ne plus venir à Paris et de rester avec le perroquet Coco et les quatre chats, se passionnant surtout pour son excellente bibliothèque.


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