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Histoire d’objet De Fontem à Berlin Le long voyage d’un bâton lefem bangwa Par Bettina von Lintig 130 Le 24 septembre 2003, la collection du Potter Museum – un musée privé britannique du XIXe siècle dédié à la taxidermie et aux curiosités – a été mise aux enchères par Bonhams dans un minuscule village des Cornouailles. Fondé en 1880 sous le nom de Bramber Museum, le musée avait occupé brièvement le Palace Pier à Brighton en 1973, puis il a été déplacé dans la ville d’Arundel dans le Sussex et fi nalement à Bolventor dans les Cornouailles, avant de fermer défi nitivement ses portes dans les années 1990. Il abritait de très nombreux dioramas d’animaux naturalisés prenant part à des activités humaines créés par Walter Potter (1835-1918) et qui constituaient des exemples bien connus et populaires de « fantaisie victorienne ». Ces scènes étaient accompagnées de spécimens ethnographiques et d’histoire naturelle. Internet regorge d’informations concernant le musée et la vente, notamment à propos de l’artiste contemporain Damien Hirst et de son offre d’un million de livres pour acquérir l’ensemble des dioramas de Potter, offre déclinée par les commissaires-priseurs. Les objets ethnographiques mis en vente étaient pour la plupart des massues, boomerangs et quelques masques d’Océanie. Toutefois, une fi gure sculptée sur un poteau, le lot 489, fut également proposée (fi g. 2). Le catalogue de la vente décrivait simplement l’objet comme « un bâton en bois du Cameroun, au sommet sculpté en une fi gure tenant un masque, d’une hauteur d’environ 114,3 cm ». Le collectionneur et marchand Kevin Conru acquit l’objet sans plus d’informations au sujet de sa provenance car le musée ne disposait d’aucune documentation le concernant. Le regard doux et impénétrable de cette fi gure lui confère une puissante expression faciale rehaussée par l’aspect sauvage des protubérances de sa coiffure. Un masque ou une tête est tenue contre le corps. Si elle pouvait parler, cette fi gure raconterait à coup sûr un récit épique. Elle a survécu à tous ceux qui ont jalonné son parcours durant plus d’un siècle, mais a cependant laissé des traces dans certains des lieux qui l’ont accueillie, si bien qu’une grande partie de son histoire peut être reconstituée et examinée. FIG 1 : Figure commémorative d’un chef, attribué à Ateu Atsa. Bangwa, région de Fontem, Cameroun. XIXe siècle. Bois. H. : 92,1 cm. Cleveland Museum of Art, acquis grâce aux fonds J. H. Wade, inv. 1987.62. FIG. 2 : Emblème lefem, attributé à Ateu Atsa ou à son atelier. Bangwa, Cameroun. XIXe siècle. Ex-coll. Gustav Conrau, Fontem (1898 ou 99) ; Königliches Museum für Völkerkunde, Berlin (1899) ; Alfred Speyer, Berlin (acquis en 1929) ; the Potter Museum, Brumber/Brighton/ Arundel ; Kevin Conru, Royaume-Uni. Bois. H. : 121 cm. Collection de Javier Peres, Berlin. Photo : Frederic Dehaen, avec l’aimable autorisation de Kevin Conru. Lorsque des experts ont comparé cette sculpture rare à des objets bamileke, la possibilité qu’elle puisse provenir de l’atelier d’un célèbre sculpteur bangwa connu dans la littérature sous le nom d’Ateu Atsa (vers 1840-1910) fut naturellement évoquée (fi g. 1). Elle possède en effet plusieurs éléments de style propres de ce sculpteur : le traitement des pieds, qui en l’occurrence s’agrippent à l’extrémité du poteau (sur d’autres pièces, ils sont fi xés de la même manière à un anneau ou un piédestal), un corps composé de segments symétriques, des dents apparentes menaçantes, un menton prononcé et des oreilles zoomorphes disposées à l’horizontale. Des facettes d’herminette sont visibles sur la surface du bois, ce qui est typique des objets issus de cet atelier et d’autres du Grassland. Un autre élément spécifi que aux oeuvres attribuées à Ateu Atsa est l’utilisation d’entretoises structurelles. L’une d’elles (aujourd’hui endommagée) relie le masque / tête au menton de la fi gure principale, tandis qu’une autre relie le menton de cet élément au poteau situé en dessous. Tous les détails stylistiques suggèrent que la sculpture peut être attribuée à Ateu Atsa ou son atelier et, comme nous le verrons, sa relation étroite avec Assunganyi de Fontem, l’un des principaux mécènes de ce sculpteur, ne fait que conforter cette hypothèse1. Ces premières tentatives d’attribution sont certes intéressantes. Mais ce n’est qu’en 2011 que l’histoire de l’objet commença à devenir plus limpide et ce, grâce à Kevin. Ce dernier remarqua un ensemble de dessins sur une lettre vieille de cent ans écrite par Gustav Conrau (1865- 1899, aucun lien avec Kevin Conru) reproduite dans Art in Cameroon: Sculptural Dialogues2 (fi g. 7). Le dessin numéro 4 attira son attention en raison de sa ressemblance avec sa sculpture du Potter Museum, bien que celle-ci fût dépourvue des protubérances autour du cou très visibles sur le dessin. La lettre et ses dessins furent envoyés de la région bangwa par Conrau à Felix von Luschan, conservateur du département africain au Museum für Völkerkunde de Berlin de 1885 à 1910. Elle est datée du 11 juin 1899 et est arrivée à


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