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116 des « Lobi » migrèrent, et la découverte d’objets du style de Holly Keko en Côte d’Ivoire n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Dans la superbe coiffure à petites tresses qui retombent sur les épaules, imitation des perruques en fi bres des adeptes de Mìlkuùr, puissance surnaturelle protégeant les meurtriers légitimes23, chargés de venger le sang versé au sein des matriclans, on reconnaît le soin méticuleux que Magnuor apportait à la fi nition des détails. Mais la maîtrise de son art s’exprime également dans le jeu équilibré des modelés des parties successives du corps. Les pieds, à peine ébauchés, sont unis en une sorte de socle, ce qui détermine la forme légèrement arquée des jambes fl échies, marquées par la saillie des genoux. Cette conformation particulière des pieds, typique de la manière de ce sculpteur, ne se remarquait pas sur les statues fi chées en terre du thílduù des Kou, mais elle devait être reprise par son fi ls Gnõkithé et les sculpteurs de son entourage familial, comme l’attestent deux statues photographiées respectivement dans la collection Christina et Rolf Miehler en 1975 (fi g. 18), et dans la collection William Brill en 197824 (fi g. 19). Ces objets présentent des ressemblances avec les sculptures de Gnõkithé : il suffi t de les comparer avec l’effi gie réalisée par ce sculpteur et gardée dans le thílduù des Kou (fi g. 22) tout comme avec la superbe statue masculine enrichie de la coiffure rituelle yuù-buòr, et attribuée à sa main (fi g. 21), pour s’apercevoir qu’une même conception formelle y règne, notamment au niveau de la tête, dont la forme devient nettement ovale, et dans l’aspect fuselé des corps. Cependant, on y relève aussi la simplifi cation de certains Dá, avait déjà la cinquantaine, âge minimum requis pour la pratique d’un tel culte, comme cela a déjà été précisé19. Réalisée vraisemblablement par un sculpteur appartenant à l’entourage familial de Magnuor Palé ou à son voisinage, cette statue déjà publiée en 1981 (fi g. 16)20 possède des traits communs au style de Holly Keko établi par ce maître sculpteur : des clavicules saillantes et des bras qui s’emboîtent dans les épaules. Aux côtés de ces caractéristiques formelles, des attributs nous révèlent l’appartenance sociale de la personne honorée et montrent que ce style jouissait d’une portée certaine au sein de cette zone d’occupation birifor : elle est coiffée du bãba gnounkpour, la calebasse sacrée des grands chasseurs birifor, et porte la scarifi cation ventrale propre à leur statut. Toutefois, l’oeuvre qui met le plus en évidence le savoirfaire de ce grand sculpteur est sûrement l’une des cinq statuettes dites « lobi » qui apparaissent sur une photographie publiée pour la première fois par Bohumil Holas dans son ouvrage Sculptures ivoiriennes, en 1969 (fi g. 14). Ces cinq statuettes furent retrouvées en brousse vingt ans auparavant, abandonnées, selon l’auteur, après la mort de leur propriétaire21. Leur conception formelle les rapproche du style de Holly Keko, et, pour l’une d’entre elles, la manière de Magnuor Palé y ressort. Cette statuette, exposée la même année en Suisse, au musée de Vevey, fut par la suite acquise par Marc et Denyse Ginzberg et publiée en 1981 par Piet Meyer22 (fi g. 15). La présence d’objets de style de Holly Keko en Côte d’Ivoire ne doit pas nous surprendre. Lors de l’installation d’un culte lignager et du premier objet à placer dans le thílduù, le retour au village d’origine de l’ancêtre du groupe s’avère souvent capital pour se munir de supports cultuels conformes. Cela explique comment certains styles archétypaux du pays lobi furent véhiculés ailleurs, là où DOSSIER FIG. 18 (CI-DESSOUS) : Style de Holly Keko. Statuette masculine parée de la coiffure traditionnelle des guérisseurs birifor. Bois brun à patine foncée. H. : 62 cm. Ex-coll. Christina et Rolf Miehler. FIG. 19 (CI-CONTRE) : William Brill posant devant quelques pièces de sa collection. La première à gauche n’est autre que la fi g. 20. Extrait de Arts d’Afrique noire, nº 26, 1978. FIG. 20 : Détail statue de la collection de William Brill visible, à gauche, sur la fi g. 19. Collection privée. Avec l’aimable autorisation de Sotheby’s. © Sotheby’s.


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