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HOMMAGE Sheikh Saoud bin Mohammed bin Ali Al-Thani de marque. Gravissime erreur, d’ailleurs, car les médias internationaux n’ont pas compris cet homme et ne furent pas tendres avec lui, au lieu de le soutenir dans ses nobles entreprises, avides de sensationnel et ignorant totalement le dessous des cartes, le pourquoi des choses. Le Qatar et ses affaires intérieures, ce n’est ni Londres, ni Paris, ni New York. Il est un fait avéré que Sheikh Saoud payait toujours ses ardoises : ce n’était jamais qu’une question de temps. Un acheteur pareil, qui boostait tout un marché, aurait mérité plus de respect. Certaines grandes salles de vente, elles qui avaient tellement abusé de sa passion pour l’art en le poussant aux plus hautes enchères, auraient pu être plus indulgentes, plus patientes avec lui. On ne tue pas la poule aux oeufs d’or. Sheikh Saoud était en train de travailler à la réalisation d’un musée ethnographique à Doha. Une première pour ce pays. Ce musée verra-t-il jamais le jour ? Restent des collections exceptionnelles, reflets du goût et de la vision d’un homme hors norme. Un patrimoine fabuleux dont nous espérons que l’État du Qatar se souciera. À moins que les enfants de Sheikh Saoud ne reprennent eux-mêmes le flambeau et continuent l’oeuvre du père… Tout est possible en effet, avec cette jeune et brillante génération qatarie, qui a été formée aux meilleures universités et est parfaitement capable 159 de gérer un tel héritage spirituel. J’aimerais pouvoir miser sur l’avenir. Jacques Billen HOMMAGE À UN VISIONNAIRE, BÂTISSEUR DE COLLECTIONS Pays étonnant que le Qatar : à peine un confetti sur un atlas de géographie, mais qui exerce un rayonnement et une influence planétaires. Une volonté d’excellence et de dépassement dans le chef de ses élites pour la gouvernance de leur pays, un état d’esprit devenu trop rare en Occident. Proche parent de l’Emir actuel, Sheikh Saoud, incarnait parfaitement cette remarque liminaire. L’on peut dire sans exagération qu’il était habité d’une vocation et d’un véritable don. Il vivait pour l’art et fut sans aucun doute le plus grand collectionneur de son époque. Mais il ne fut pas que cela. Trop souvent en effet, les collections privées sont des créations éphémères qui ne débouchent sur rien et se dissolvent à la mort de leur propriétaire. Au contraire, Sheikh Saoud laisse derrière lui une oeuvre certes inachevée – vu sa disparition prématurée – mais très considérable. Les moyens colossaux mis à sa disposition par l’Etat qatari, du temps où il était en charge du Ministère de la Culture, son talent, sa rapidité de décision lui ont permis d’assembler pour son pays en un temps record des collections structurées d’importance mondiale, autant de préludes à la création de musées qui auraient dû faire très rapidement de Doha la métropole culturelle insurpassée du Moyen-Orient. 2005 marque – hélas – l’arrêt de ses fonctions et le gel de quantités de projets culturels extraordinaires et uniques en leur genre. Homme universel, son activité et ses connaissances s’étendaient pratiquement à tous les secteurs de l’art, depuis les civilisations de l’antiquité jusqu’à l’art contemporain. Autodidacte, il apprenait très vite à maîtriser les rouages intimes des domaines qu’il découvrait. Une mémoire, notamment visuelle, infaillible. Une activité débordante. Un esprit créatif. Son opus maius est probablement le Musée d’Art Islamique de Doha, dont les collections ont été constituées par lui en huit ans à peine, un véritable tour de force. Il s’impliquait personnellement dans tous ses projets. Et il faut rendre à César ce qui est à César, c’est Sheikh Saoud qui donna à l’architecte sino-américain Ieoh Ming Pei la source d’inspiration pour l’édifice : la fontaine aux ablutions de la Mosquée d’Ibn Touloun au Caire, dont le dépouillement sublime et les variations dans l’enchaînement des volumes plaisaient particulièrement au Sheikh, passionné d’architecture. À ce titre, Doha lui doit aussi la Doha Tower, oeuvre de Jean Nouvel et l’un des plus remarquables édifices des États du Golfe, qui fait face au Musée sur la Corniche. Une autre oeuvre majeure à son actif : Al-Wabra, qu’il appelait modestement sa « ferme », située en plein désert, un centre scientifique de niveau mondial, où la crème des zoologues, vétérinaires, ornithologues s’attachait à sauver des espèces animales en voie d’extinction, dans le but de les réintroduire un jour dans leur biotope d’origine. L’homme s’intéressait passionnément aux sciences naturelles, que ce soit la botanique, la minéralogie ou la paléontologie. Ouvert à toutes les disciplines, Sheikh Saoud était un être éminemment accessible à tous ceux qui, petits ou grands de ce monde, étaient animés par la même passion que lui pour l’art. Doté d’un grand sens de l’humour et d’un esprit vif, c’était un ami fidèle et altruiste. Sensible mais fort. Parfois seul et mélancolique, comme peuvent l’être les aigles qui planent trop nettement au-dessus du lot. Trop discret assurément, plus préoccupé par son oeuvre que par la promotion de sa propre image


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