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HOMMAGE Jerry Vogel J’ai fait la connaissance de Jerry Vogel en 1973 lors de la première année de mes études d’art africain. C’était dans son bureau à Crossroads Africa dans le centre-ville de New York et pendant notre conversation, j’ai remarqué de beaux petits objets posés sur son bureau : une poulie de métier à tisser et un ou deux petits bronzes. J’ai tout de suite compris qu’il aimait non seulement les beaux objets, mais qu’il les connaissait également à la perfection. J’ai rapidement les personnes importantes dans le domaine des études de l’art africain : le monde universitaire, le monde muséal et le monde des marchands et des collectionneurs. Quelques années plus tard, la première fois que je me suis rendu dans leur loft de Prince Street, j’ai été stupéfait par la quantité et la qualité de leur collection. Ici, il n’y avait pas que de petits objets : des figures sculptées monumentales et de grands masques-heaume, magnifiquement éclairés, trônaient regorgeait de poteries, d’objets en terre cuite, en bronze, en ivoire et en fibres. Un important assemblage de pièces de l’ancien Soudan français (aujourd’hui au Metropolitan Museum of Art à New York) remplissait un mur entier. D’autres oeuvres de qualité et assurément anciennes venaient compléter l’ensemble d’objets africains : des gravures sur bois japonaises, une eauforte de Vlaminck, des oeuvres sur papier de Roy Lichtenstein et d’Iba Ndiaye. L’endroit était un régal pour les yeux. Depuis lors, Jerry et moi-même avons eu de nombreuses et longues conversations dans ce loft, que nous avons poursuivies après la fin des années 1980 chez lui, au coin de Wooster Street. Son bon goût et ses connaissances extraordinaires ont suscité chez moi un plaisir infini. Nous avons partagé bon nombre de délicieux repas au cours desquels nous parlions de littérature, de politique, de cinéma, de mode, de la situation de notre disciéquipements 158 pline et d’innombrables autres sujets. Jerry comprenait la culture matérielle d’Afrique comme personne et il n’était jamais avare de son temps et de ses connaissances. J’ai discuté avec Jerry quelques jours avant sa mort, juste après son retour d’un séjour de deux mois chez sa famille d’adoption ivoirienne à Abidjan. Durant ce séjour, Jerry avait supervisé un voyage d’études artistiques de jeunes professionnels de musées à travers le pays, et cela s’était très bien passé. Il avait alors entamé des discussions avec des banquiers d’Abidjan concernant la façon dont on pouvait développer et encourager l’environnement artistique en Côte d’Ivoire, et le rôle qu’il aurait pu jouer en contribuant à rapprocher le monde commercial et le monde de l’art afin de tirer parti des deux. Son travail à l’Africa Center, au Metropolitan Museum of Art et au Brooklyn Museum s’est poursuivi jusqu’à son dernier souffle. Jerry était un extraordinaire mentor, enseignant, collègue et ami, doté d’une remarquable intelligence et profondément passionné par la culture sous toutes ses formes. Je sais qu’il me manquera pour toujours, mais les souvenirs de nos nombreuses conversations et aventures m’accompagneront à jamais. Robert T. Soppelsa réalisé aussi que Jerry et Susan Vogel entretenaient des liens avec pratiquement toutes en haut de piédestaux derrière le canapé, offrant un véritable spectacle visuel. Le loft Peter Rona Si vous vous êtes rendus à une exposition d’art tribal au cours des dernières décennies, vous aurez peut-être aperçu – ou pas d’ailleurs – un homme calme et plutôt fluet aux yeux bleus curieux, occupé à examiner, minutieusement mais discrètement, chaque oeuvre exposée et à échanger des plaisanteries avec les marchands. Cet homme, c’était le Dr Peter Rona. On ne le devinait pas au premier regard, mais il était l’un des plus grands explorateurs des fonds marins et océanographes au monde, vouant également une véritable passion à l’art traditionnel issu de cultures du monde entier. Né à Trenton, dans le New Jersey, en 1934, Peter a manifesté très tôt un intérêt pour les roches et les minéraux, tout en étant avide de connaissances sur le monde qui l’entourait. Après avoir obtenu une licence à la Brown University et une maîtrise à Yale en géologie, il fit la connaissance de plusieurs océanographes qui se trouvaient à New York pour une conférence à la fin de l’année 1958. C’est en discutant avec eux qu’il se découvrit une passion pour l’océan – la dernière frontière sur terre, comme il l’appelait – et qu’il décida de consacrer sa vie à l’explorer. Il retourna à Yale et, après un passage dans un laboratoire océanographique à Columbia pour étudier la physique du son dans la mer, il obtint un doctorat en géologie marine et géophysique en 1967. Peu après, il travailla comme chercheur auprès de la National Oceanographic and Atmospheric Administration et, en 1994, comme professeur à la Rutgers University. Il a consacré toute sa carrière à explorer et cartographier les profondeurs de l’Atlantique à l’aide de dragues, de caméras, d’échosondeurs et de divers de haute technologie, mais aussi au moyen d’observations personnelles réalisées en utilisant de petits bathyscaphes. Il a lui-même admis avoir probablement passé plus de temps dans des submersibles au fond de l’océan que n’importe quel autre océanologue. Son succès le plus retentissant fut en 1985 lorsqu’il découvrit avec son équipe des cheminées hydrothermales dans la dorsale médio-atlantique qui, outre leur énorme potentiel commercial, renfermaient un vaste écosystème abritant des formes de vie jamais vues auparavant et pouvant fournir des indices sur la formation de la vie sur Terre. Par la suite, entre 1999 et 2003, Rona et son confrère de Rutgers, Richard Lutz, travaillèrent comme directeurs scientifiques pour Volcanoes of the Deep Sea, un film au format IMAX explorant les cheminées sous-marines dans les océans Atlantique et Pacifique. Ce métrage a depuis lors été vu par cent soixante-cinq millions de spectateurs à travers le monde. Peter était très discret sur ses activités de collectionneur. Sa famille, d’ailleurs, n’en savait pas grand-chose, mais il a bâti un ensemble de plusieurs centaines d’oeuvres. Il était un visiteur assidu d’expositions et de galeries, importantes ou modestes, aux États-Unis et en Europe. Il ne cherchait pas des chefs-d’oeuvre, mais plutôt des objets porteurs de sens pour lui – découverts pendant ses voyages ou achetés à des marchands avec qui il s’était lié d’amitié, parfois simplement pour les aider à sortir d’une situation difficile. En cela, il était quelqu’un d’exceptionnellement gentil et généreux, des qualités que j’ai pu apprécier personnellement. Ayant appris mon penchant pour le café, il m’envoya pendant des années des colis contenant un mélange cubain, délicieux mais interdit de commerce, auquel il avait accès grâce à son réseau de contacts. Peter nous a quittés en février de cette année. Sa présence sereine nous manquera à tous, tant sur la terre que dans les profondeurs. Jonathan Fogel


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