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Hommage 163 Jacques Hautelet J’ai rencontré Jacques Hautelet pour la première fois il y a vingt-cinq ans. Marchand d’art asiatique à l’origine, j’avais développé une véritable fascination pour les armes africaines. J’appris avec bonheur la présence d’un ancien colon belge à San Diego. Quelques petites transactions plus tard, j’ai décidé de rendre visite à Jacques lors d’un de mes voyages en Californie. Après avoir passé l’après-midi à admirer des objets et à faire connaissance, il demanda respectueusement à sa femme Brigitte si ce voyageur texan pouvait passer la nuit chez eux. Elle accepta et ce fut le point de départ d’une des amitiés les plus importantes de ma vie. Jacques était un marchand d’art privé. Sa première collection avait déjà été publiée dans Traditional Art and History of Zaire par François Neyt, et Brigitte et lui profitaient à présent du doux climat de San Diego. Jacques menait une vie paisible. Il aimait les bons repas, adorait son jardin et prenait plaisir à étudier ainsi qu’à acheter et vendre de l’art africain depuis son bureau installé chez lui. Jamais cupide, toujours correct, il était le « gentleman marchand d’art » par excellence. Deux fois par an, Jacques revenait à Bruxelles. Il m’a raconté un jour qu’il avait vraiment adoré flâner dans le Sablon après avoir déjeuné, regardant à travers les vitrines des galeries d’art et des boutiques de chocolat. Pendant la journée, il cherchait à dénicher des objets et rendait visite à des amis avec qui il partageait depuis longtemps des intérêts communs. Son amour pour l’art africain donna naissance à de nombreuses collections privées et muséales importantes. Souvent dans l’ombre, sans ego, animé par le plaisir de la transaction. Mais son premier amour, c’était Brigitte. Je n’ai jamais vu un tel dévouement amoureux dans un couple. L’élégance sereine de leur union partagée – jamais précipitée et marquée par la satisfaction d’une vie intelligemment orchestrée – était vraiment source d’inspiration. Aujourd’hui, je dis au revoir à mon ami et mentor, mais je continuerai à me nourrir du souvenir de ce gentleman d’exception. Jacques a dit un jour, « l’art africain a été bon envers moi ». Je me dois d’ajouter que Jacques Hautelet a lui aussi été bon envers l’art africain. Par Joel Cooner Willy Mestach Je connaissais déjà bien Willy Mestach de réputation lorsque je me suis installé à Bruxelles il y a quatorze ans, non loin du Grand Sablon, à seulement quelques mètres de cette légende vivante et de sa remarquable collection. Nous avons rapidement fait connaissance, puis je me suis finalement lié d’amitié avec cet homme attachant. Je me souviendrai toujours du bonheur qu’il éprouvait quand il s’asseyait derrière cette vieille table en chêne, entouré de chefs-d’oeuvre d’art primitif, de livres, mais aussi de ses propres créations : peintures à l’huile et sculptures aux multiples facettes, mi constructivistes, mi abstraites et teintées d’humour surréaliste à la belge. Bien que Willy ait été un artiste confirmé et largement reconnu, c’est sans doute à travers sa collection qu’il exprimait le mieux son talent artistique. On l’a souvent décrit comme possédant un « oeil d’artiste », appellation plutôt simpliste et presque insultante pour quelqu’un comme lui. Sa vaste collection est le fruit de près de soixante années d’attention minutieuse portée aux détails et d’une sélection rigoureuse. Les « erreurs » qu’il a commises, que tout collectionneur est amené à faire un jour ou l’autre, sont à peine visibles. La qualité des pièces choisies, sa passion pour la perfection géométrique et sa capacité à déceler la dimension extraordinaire d’un objet ont conféré une cohérence exceptionnelle à ces oeuvres d’une incroyable diversité. Tous ses objets possédaient quelque chose d’extraordinaire. Grâce à Marc Felix essentiellement, le grand public put enfin découvrir ce génie lors de l’exposition au Minneapolis Institute of Arts en 1991 et dans son catalogue The Intelligence of Forms: an Artist Collects African Arts. Willy a commencé sa collection dans les années 1950, une époque où l’on trouvait de merveilleux objets en provenance directe du Congo belge à des prix raisonnables. Il s’est spécialisé dans l’art des Songye et a consacré énormément de temps à élaborer des dossiers de référence. En achetant (et en vendant) des objets « dénichés » sur les marchés aux puces de Bruxelles, auprès d’anciens colons et chez les nombreux marchands d’art du quartier naissant du « Sablon », Willy a pu continuer sa passion, aiguiser son regard et élargir le spectre de sa collection en y intégrant de splendides pièces issues d’autres régions d’Afrique, et à l’occasion, un charmant objet esquimau, Ifugao, de l’île de Pâques ou d’ailleurs. Sa collection devint célèbre et de nombreux marchands importants de passage à Bruxelles cherchèrent à la contempler. Patiemment, Willy continua à parfaire cet ensemble dont une large sélection d’oeuvres fut à nouveau présentée en 2007 lors de l’exposition mémorable Mestach : L’Africain organisée dans le cadre de la XVIIIe édition du Bruneaf. À l’instar de ses peintures et de sa collection d’art tribal, Willy était un homme aux multiples facettes. Tantôt artiste au tempérament bourru, tantôt vieux sage partageant une infinie sagesse. Un de mes amis m’a un jour raconté une savoureuse anecdote. La femme de Willy, Marthe, lui avait demandé d’aller chercher un poulet pour le dîner. Après avoir acheté le poulet en question, Willy s’arrêta dans un bistrot pour bavarder avec des amis. Deux jours plus tard, on le retrouva à l’autre bout de la ville, en train de balancer un poulet autour de sa tête… On le ramena immédiatement chez lui, où Marthe l’attendait patiemment, comme toujours. Quant à sa collection, Willy ne s’est jamais vraiment arrêté. Extrêmement variée, elle comprenait un remarquable ensemble de violons dépourvus de cordes fabriqués exclusivement à des fins d’entraînement, mais aussi de fantastiques casques grecs et autres antiquités classiques. Après avoir frôlé la mort une première fois en 1999, il manifesta également un intérêt pour les objets chamaniques et naturels. De très nombreuses personnes pourraient écrire un hommage comme celuici témoignant de leur affection et leur respect à Willy. J’espère avoir pu traduire leurs sentiments. Willy manquera sans nul doute à tous ceux qui le connaissaient pour sa personnalité empreinte de charme, sagesse, vision, goût, humilité, générosité et pour ses autres innombrables qualités, mais je crois qu’il continuera d’exister pour toujours. De simples mots ne suffisent pas à résumer la vie d’un si grand homme, mais l’héritage visuel que Willy nous a laissé devrait continuer à influencer à jamais notre appréciation de l’art dans le monde. Par Alex Arthur


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