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John Giltsoff (1947-2014) J’ai rencontré John Giltsoff pour la première fois à Londres en 1981. Il effectuait l’un de ses rares séjours dans son pays natal et menait ses activités depuis un appartement bien aménagé de South Kensington. Je venais d’intégrer le département 162 d’art tribal chez Christie’s à Londres, aux côtés d’Hermione Waterfield et Bill Fagg donc, techniquement, notre relation était strictement professionnelle. Je me suis pourtant vite rendu compte que cette relation « professionnelle » avec John allait s’avérer incomparable. John a entamé sa carrière à la BBC comme journaliste pour le World Service. Son intérêt croissant pour l’art tribal l’incita néanmoins à interrompre une carrière prometteuse dans le journalisme et à se lancer dans le commerce de l’art. Il est rapidement devenu l’un des marchands les plus en vue de sa génération. Il était extrêmement doué, une qualité qui venait s’ajouter à ses connaissances approfondies des oeuvres et des cultures dont elles étaient issues, mais également à une véritable passion pour les objets eux-mêmes. Il aimait regarder, toucher, manipuler. Il était obsédé par l’âge, les signes d’utilisation, l’usure, l’intégrité de n’importe quel objet. Pour le séduire, un objet devait non seulement être correctement sculpté, mais posséder aussi la patine idéale. C’est précisément cette combinaison entre savoir et passion qui lui permit d’acquérir une clientèle de fidèles collectionneurs. Fin stratège et homme d’affaires averti, il était capable de comprendre et de déceler les goûts de ses différents clients et savait instinctivement ce qui leur plairait. Aider un collectionneur à bâtir une formidable collection lui procurait une énorme satisfaction. Il est impossible d’évoquer John sans parler de son enthousiasme débordant. Élégant, charmant, espiègle, taquin et plein d’esprit, il était également un brillant conteur et un grand blagueur, et rien ne lui faisait plus plaisir que de se retrouver avec des amis autour d’une table à savourer un excellent repas accompagné d’un bon verre de vin. Quand je lui rendais visite dans ses appartements de New York et Bruxelles, il m’accueillait en disant « C’est le moment de sortir les bulles ! » John fonçait alors dans le réfrigérateur et, en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, nous trinquions au champagne. Il faisait preuve d’un sens exacerbé du style – si ses liquidités le lui permettaient, il échangeait volontiers une oeuvre d’art contre une Rolls-Royce ancienne ou une voiture de sport cabriolet. John a eu l’immense chance de passer les vingt-deux dernières années de son existence aux côtés de sa seconde épouse, Rita, qui s’impliqua dans ses affaires et apporta une certaine stabilité à sa vie personnelle, qualité dont il avait parfois manqué par le passé. Ils étaient inséparables et menaient leurs activités brillamment, en équipe. Ils étaient aussi des hôtes fantastiques et généreux, et leurs convives passaient des moments aussi amusants qu’arrosés… John était, surtout, un ami profondément fidèle et attentionné, tant au sein de la communauté de l’art tribal qu’en dehors. « Un personnage », dans tous les sens du terme. Il manquera à tous ceux d’entre nous qui furent l’objet de son amour et de son amitié, et à un très grand nombre de maîtres d’hôtel aux quatre coins du monde. Par Timothy Hunt Gérard Wahl-Boyer Le chercheur de trésors Gérard Wahl, dit Boyer, dit Bébé Rose, dit Bébé, dit Gégé. Notre ami, notre bébé a déposé les armes par un jour gris du mois de janvier et, chose étrange mais ô combien révélatrice du personnage, nous nous sentons depuis ce jour tous orphelins. Nous sommes depuis submergés par le sentiment d’avoir perdu un ami, un modèle, un maître. Il est vrai qu’il devançait la plupart d’entre nous par l’âge, mais c’est surtout par « tout le reste » que nous voyons en lui un aîné, un maître. Et « tout le reste » c’est d’abord un énorme talent de chercheur de trésors, de la plus petite brocante ou vide-grenier de province où, très récemment encore, il découvrait, chinait un grand chefd’oeuvre des reliquaires Kota, d’autant plus grand qu’il comptait parmi ces raretés que sont les petits reliquaires, concentrés, effrayants de force et de beauté. « Tout le reste » c’est ensuite une richesse de connaissances doublée d’un désir d’apprendre toujours plus, sur toutes les cultures, primitives ou pas. Du chandelier ou de la vierge romans, du bouddha de Birmanie, des trésors secrets des minorités chinoises jusqu’aux antiquités de Rome ou d’Athènes, des Cyclades ou encore des Kongos. Mais sa plus grande qualité – des moins partagées – était sa profonde humilité. Aucun attrait pour la gloire, pas de grande galerie. Il préférait les puces, son royaume, ou mettre les objets « en nourrice » après les avoir signés en les possédant le temps de la chasse, de la découverte. Il était peu intéressé finalement par l’acte de vendre et tous les feux de la rampe… Sa liberté et son indépendance étaient ses grandes fiertés ; son avis tranché sur les gens, sa richesse. Il aimait ou n’aimait pas. C’était clair, franc. Et pour ainsi dire toujours justifié. Il n’a jamais voulu se conformer et encore moins rentrer dans un cadre. Il n’ a jamais été raisonnable, ni très sage. Pourquoi auraitil dû l’être ? Pour rater une émotion, rater un objet d’art, rater un sourire, un visage, un rêve ? Pourquoi ? Il disait souvent : « pas de regrets, pas de remords ». À la veille de Noël, il me dit de sa voix meurtrie : « Regarde derrière mon épaule, elle n’est pas belle Ma Vie ? » Au nom de quoi pourrions-nous le contredire ? Tu nous manques trop… Adorable pirate. Par Pierre Loos HOMMAGE


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