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Hughes Dubois 139 T. A. M. : Quels objets t’ont suscité les plus belles émotions au cours de ta carrière ? H. D. : Dans mes débuts, j’ai été particulièrement sensible à l’art précolombien du fait de ma rencontre avec Émile Deletaille. Mais, s’il fallait choisir un objet, j’inclinerai certainement pour une pièce d’Hawaï, que ce soit un objet usuel comme un bol, une statue, une cape ou une coiffe… Je trouve l’art de cette région absolument fabuleux ! T. A. M. : Parallèlement à ton activité de studio, tu as développé aussi un travail personnel qui a abouti à des projets intéressants – je pense par exemple à l’exposition Le sensible et la force qui s’est tenue en 2004 au musée royal de l’Afrique centrale (MRAC) et qui a fait l’objet d’un catalogue – : qu’est-ce qui caractérise cette production ? H. D. : Très tôt, dès les années 1990, je voyais qu’il y avait dans des objets des choses, des angles intéressants que mes clients ne me demandaient pas. Cela me frustrait de ne pas m’y pencher et j’ai décidé ainsi de le faire pour moi. Quand on pose l’appareil sur le plateau, le premier regard porté sur l’objet à travers la caméra est rarement net. Mais pourtant, bien que la pièce puisse apparaître quelque peu floue dans le dépoli, il y a dans cette absence d’objet une présence, une personnalité, une humanité même, qui est bien plus forte. Cela m’a beaucoup impressionné. J’ai commencé alors à faire ces photos que j’ai appelées des « portraits d’objets » où je me suis permis de mettre le flou, de fuir la technicité. L’objet devenait sujet photographique. Pour ce qui est de l’exposition au MRAC que tu évoques, j’avais envie de photographier le Hemba de Tervuren. Les statues d’ancêtres m’intéressaient particulièrement car j’y voyais un vecteur d’exception pour explorer les notions de famille, de filiation, de lien. J’ai parlé de mon projet à Anne-Marie Bouttiaux, conservatrice responsable du département ethnographie, mais cela n’a pas abouti. Quelques années plus tard, elle est revenue vers moi avec une proposition d’exposition. Plutôt que d’exposer mon travail, je lui ai proposé de présenter une réalisation spécifique sur un corpus déterminé. Des Hemba, nous sommes passés aux Songye, plus largement représentés dans les collections du MRAC. Cette exposition a donné envie à certains de mes clients qui se sont mis à me demander ce type de portraits. Ce qui est devenu assez embêtant car ce travail était, et demeure, mon jardin secret ! Ces derniers temps, j’ai évolué dans ces photographies personnelles vers une approche de plasticien dont je ne montre pas encore le résultat. Dans tous les cas, ce qui est certain c’est que mon travail de studio s’est enrichi grâce à ces réalisations plus sensibles et intimes que je continue à faire lorsqu’une pièce me touche plus particulièrement. T. A. M. : Et aujourd’hui, as-tu d’autres projets de ce type ? H. D. : Oui, nous partons à Java sur le site de Borobudur pour terminer un projet qui nous tient beaucoup à coeur à Caroline et moi et ce dans la perspective d’en faire une publication, une exposition ainsi qu’un portfolio original comme celui que j’ai édité à l’occasion de l’exposition Le sensible et la force. Nous l’avons appelé « Borobudur, un certain regard » ; nous photographions les bas-reliefs expliquant les étapes de la vie de Bouddha la nuit avec mes éclairages et la lueur de la pleine lune. Avec la nuit comme chambre noire, le site devient un studio à ciel ouvert. T. A. M. : Es-tu de ceux pour qui il est important de connaître la vie d’un objet dans son contexte d’origine – sa fonction pour dire cela rapidement ? Cette information t’aide-t-elle à approcher une oeuvre ? H. D. : Oui, sans aucun doute : cela m’aide pour savoir où placer l’accent. Pour rendre les effets de matière d’un objet qui, par exemple, est à la fois en métal rugueux et présente des parties en métal brillant, il est déterminant de bien comprendre à quel besoin répond l’oeuvre. Il est important pour cela de s’être frotté à un grand nombre de pièces, mais aussi de s’instruire par le biais de livres ou de rencontres. J’ai beaucoup appris, dans le domaine des arts d’Afrique, en l’occurrence grâce à des personnalités comme Philippe Guimiot, Hélène et Philippe Leloup, Max Itzikovitz, Jacques Kerchache, Bernard Dulon et tant d’autres grands noms dont la liste serait trop longue et qui m’ont profondément marqué. Cela dit, toutes les connaissances que j’ai pu acquérir par un biais ou l’autre m’aident à savoir ce qu’il ne faut pas faire, mais elles ne me disent en rien ce que je dois faire ! T. A. M. : Justement, pour terminer cette conversation, que te reste-t-il à apprendre au terme de trente ans passés à scruter des oeuvres d’art tribal ? H. D. : J’ai envie de te dire « tout » ! Chaque bel objet est une rencontre particulière et passionnante.


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