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DOSSIER Une peau de léopard perlée du Grassland 108 Par Bettina von Lintig demi-cercle figurent le long de la colonne vertébrale du léopard. Celui du milieu ressemble à une rosette stylisée dotée de sept pétales, mais peut être interprété comme un motif schématisé d’araignée,2 tandis que celui proche du cou représente une araignée abstraite plus classique. Dans le Grassland, l’araignée de terre symbolise la sagesse et est un motif courant lié à la foi en la providence. La tête du léopard possède des yeux arrondis et peut être interprétée comme étant animale ou humaine, une façon de faire qui n’est certainement pas due au hasard, comme nous le verrons plus loin. La surface brodée de la peau de léopard est encadrée d’une bordure de cauris qui, à l’instar des perles de verre, représentent la richesse. La partie supérieure de l’objet, à savoir le côté perlé, possède une patine brun rougeâtre clairement visible, issue vraisemblablement de l’application de poudre de bois de padouk (fabriquée avec le coeur et l’écorce du padouk, Baphia nitida), mélangée généralement à de l’huile de palme. Cette poudre est largement utilisée dans le Grassland camerounais à des fins d’embellissement lors de cérémonies et rituels,3 et est parfois également utilisée pour enduire certaines parties du corps.4 Le dessous de la peau est entièrement recouvert d’une épaisse patine brun rougeâtre, probablement sous l’effet d’une pâte de bois de padouk. L’état général de conservation de la pièce est bon. Seuls quelques torons de perles sont relativement desserrés. Lorsqu’elle fut acquise par un particulier – avant d’être donnée aux Fine Arts Museums of San Francisco (FAMSF) –, l’objet était attribué aux Bamiléké, une culturelle majeure du Grassland camerounais.5 On savait aussi que l’oeuvre venait d’une collection française,6 mais hormis cette information, sa provenance demeure jusqu’ici relativement vague. Le léopard en tant que symbole Frederick Clement Egerton livre la description d’une congrégation de « six rois extrêmement dignes »7 dans les années 1930 à Bafoussam, alors sous l’administration coloniale française. Il observe que leur cour « leur apportait des chaises ; étendait des peaux de léopards devant eux et plantait des Les Fine Arts Museums de San Francisco ont récemment reçu un objet particulièrement rare et intéressant : une peau de léopard perlée (fig. 2) qui synthétise diverses caractéristiques propres à la culture ancienne du Grassland du Cameroun. L’art de cette région est réputé pour la richesse de ses représentations humaines et animales sculptées dans le bois, mais des objets comme cette peau de léopard ornée de perles démontrent que les artistes de cette société complexe étaient capables de s’ouvrir à d’autres expressions et formes de créativité. L’objet L’élément de base de cette oeuvre hétéroclite est la peau d’un léopard, probablement Panthera panu panu, aplatie et dont les pattes et la queue s’étendent vers l’extérieur. Seules les quatre pattes et la moitié de la queue ont conservé intégralement la fourrure du léopard. Le reste de la peau est recouvert d’une étoffe tissée teinte à l’indigo d’après la technique de réserve à la cire, connue dans la lingua franca du Grassland camerounais sous le nom de « tissu royal » et qui sert de base à l’application de perles. Ce tissu est recouvert de perles de verre bleu-noir, blanches, rouge-orange, brunes et turquoise qui forment un motif évoquant un être féroce. Les motifs perlés complexes suggèrent le corps de l’animal à certains endroits, tandis que des formes sinueuses peuvent être interprétées comme étant les épaules et les hanches du prédateur en mouvement. Bien que cette peau constitue un objet plat, la technique rigoureuse du perlage utilisée partage plus de points communs avec celle rencontrée sur les objets du Grassland en trois dimensions qu’avec celle utilisée pour les textiles de la région.1 Les motifs sont variés : des figures géométriques comme des triangles isocèles multicolores sur les flancs et des rangées de triangles sombres et clairs sur la partie postérieure. Des motifs en damier, des lignes et dix petits cercles complètent le répertoire décoratif. Des formes géométriques étonnamment similaires se retrouvent sur les masques de la société de l’éléphant (kuosi), une société masquée basée sur le rang qui soutenait la hiérarchie sociopolitique (fig. 1). Deux grands cercles et un


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