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EN HOMMAGE 157 Roger Asselberghs Monsieur Asselberghs (1925-2013) était musicien de jazz, photographe publicitaire et d’objets d’art ; il nous a quitté en octobre dernier. Il y a des moments déterminants dans une carrière. En 1977, ce fut pour moi la rencontre de Roger Asselberghs. Rencontre d’un homme élégant, rigoureux, talentueux, sympathique et attachant, toujours sifflotant des sons mélodieux des classiques du jazz. Rencontre au rythme de sa clarinette dont il jouait merveilleusement bien à l’instar de Buddy De Franco, des grands musiciens qui l’accompagnaient, le jeudi soir au studio de la rue de la Longue Haie à Bruxelles. Rencontre avec des objets – pour moi encore inconnus – venus de civilisations passionnantes et que lui apportaient de grands marchands de l’époque tels que Giselle Croës, Émile Deletaille et Philippe Guimiot et d’autres collectionneurs. Rencontre avec la photographie et son écriture dont il était l’un des meilleurs auteurs. Je me souviens de mes questions, de son écoute, de ses réponses, de son exemple. Sa détermination à trouver une solution à chaque problème que nous apporte la photographie d’un objet d’art m’accompagne souvent dans mon travail quotidien. Cette maîtrise qu’il nous a offerte à travers sa carrière brillante et internationale, il eut la capacité de la transmettre, de la partager, et, en ce sens, il a fait « école ». Les arts dits premiers, au travers des assistants qui ont travaillé à ses côtés, en bénéficient encore, et c’est très bien. Aussi, avec le départ de Roger Asselberghs, c’est un grand révélateur sensible que les amateurs et les connaisseurs d’art tribal ont perdu. Je pense que mon chemin eût été plus difficile sans cette rencontre, sans son exemple. Pour cet homme qui m’a apporté la rigueur dans la technique et la musicalité de ses images, je garde un souvenir ému et respectueux. Pour tout cela, je lui dis : merci ! Hughes Dubois George Ortiz « Merveilleux ! », s’écriait George Ortiz, enfant terrible et collectionneur extraordinaire, lorsqu’il tenait un nouveau trésor entre ses mains, le visage radieux et inondé de joie. Spécialiste autodidacte mû par une passion sans limites, il constitua une superbe collection et une magnifique bibliothèque dédiées essentiellement à l’art de l’antiquité et du Moyen-Orient, sans toutefois négliger d’autres provenances, si un objet singulier attirait son attention. Son père, diplomate, était en poste à Paris, et George vit le jour dans une maison bordant l’avenue Foch. Sa mère était la fille de Simón Iturri Patiño, connu comme le « roi de l’étain » de Bolivie. Il se rendit dans ce pays à l’âge de dix ans, et garda de tendres souvenirs de promenades à cheval dans les Andes. Une nourrice anglaise lui apprit un excellent anglais, parfait par les quelques années qu’il passa à Downside, une école jésuite du Royaume-Uni. Lorsque la guerre éclata, il partit aux États-Unis afin de terminer ses études dans une école protestante, puis étudia la philosophie à Harvard, où il prétendit ne jamais avoir mis les pieds au Museum of Fine Arts ni au Fogg. Il devint rapidement marxiste. Il revint à Paris en 1948 et se rendit en Grèce l’année suivante. Ce fut pour lui une véritable révélation, une illumination. L’Athènes qu’il y découvrit était une ville aux toits de tuiles rouges, truffée de bougainvilliers et de cyprès, dont le Musée national abritait de superbes exemplaires d’art ancien. George avait trouvé sa vocation – explorer et étudier l’art classique. Il expliquait : « Instinctivement, j’ai espéré qu’en me procurant des objets de la Grèce antique, j’allais également acquérir l’esprit qui les animait. » Il s’employa à se procurer uniquement les meilleurs exemplaires, en consultant des spécialistes et les livres pertinents sur le sujet. L’exposition de sa collection à Saint-Pétersbourg et Moscou (1993), Londres (1994) et Berlin (1996) démontre qu’il y parvint brillamment. Son titre, À la Poursuite de l’Absolu, reflétait la quête de sa vie. Son expertise était légendaire et il recherchait sans relâche la perfection. Il supervisa chaque aspect de l’installation : la construction des vitrines, l’éclairage et surtout, la disposition des objets. Exigeante et parfois exaspérante, sa persévérance donna lieu à des commentaires élogieux des visiteurs : « Chaque objet est foncièrement de toute beauté, mais c’est surtout la position précise de chaque oeuvre en fonction de sa « théâtralité » qui crée cette atmosphère magique. » Rien ou presque ne pouvait le détourner de sa quête. Il achetait des objets dont il savait qu’ils avaient été importés illégalement, mais pour lui, ils étaient « sauvés » du fermier qui aurait très bien pu vendre des antiquités en or pour des lingots. Il croyait profondément en la liberté de mouvement de l’art. Lorsque la Convention d’Unidroit fut négociée à Berne, George était révolté, attendant dans les couloirs, et guettant le moment où il pourrait s’expliquer avec les responsables. La maîtrise de soi n’était pas sa première qualité et il était bien connu pour ses vociférations... Il vécut une véritable tragédie lorsque sa fille, Graziella, fut kidnappée et qu’il dut vendre la plupart de ses objets d’art tribal pour payer la rançon en 1978. Il conserva néanmoins l’immense tête en bronze du Nigeria qu’il avait baptisée Bulgy Eyes, acquise auprès du marchand britannique John Hewett, qui l’avait initié à l’art africain. Bruce Chatwin était un ami proche, auquel il confia : « Ma collection entière a été bâtie sans aucune approche intellectuelle préconçue. Elle était purement viscérale, émotionnelle et intuitive. J’ai la faculté de pouvoir apprécier, ressentir et percevoir l’éthos que les grands artistes insufflèrent à leurs créations. » George nous a quittés en octobre 2013, mais sa collection et la splendide maison qu’il avait restaurée avec amour aux environs de Genève resteront toujours gravées dans nos esprits. Il laisse derrière lui sa femme, Catherine, trois fils et une fille. Hermione Waterfield Portrait de Roger Asselberghs © Raoul Minsart. Photo de George Ortiz (à droite) avec John Hewett en 1969. Avec l'aimable autorisation de la famille Ortiz.


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