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PORTFOLIO La muséification du regard La boîte d’arts graphiques du musée du quai Branly 124 (à droite) Accrochage 1 Distance, confiance les photographiés. 8 novembre 2012 – 6 janvier 2013 Cet accrochage inaugural mettait l’accent sur l’expérience photographique et sur la relation du photographe avec le sujet photographié dans un contexte similaire à une négociation. FIG. 2 : Homme batak, 25 ans, tribu de Foba du village Pageh. A. Bernhard Hagen © musée du quai Branly. En novembre 2012, le musée du quai Branly a inauguré, sur le plateau des collections, une nouvelle salle – ou Boîte – dédiée aux collections d’arts graphiques et à la photographie : des créations issues essentiellement du musée de l’Homme et du musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, et étoffées par le biais de nouvelles acquisitions. L’objectif de cet espace consiste à présenter ce patrimoine d’exception, méconnu du public, au travers d’accrochages d’une durée de trois à quatre mois, dont ce portfolio retrace l’historique. Du document à l’oeuvre photographique En tout état de cause, la Boîte traduit l’esprit du musée, dynamique et en perpétuelle mutation. À l’origine de ce projet se trouve la première grande exposition temporaire du musée, en 2006, D’un regard l’Autre, conçue par Yves le Fur et consacrée aux différentes formes de rapprochement des Européens et des sociétés dites à l’époque primitives, de la Renaissance jusqu’à nos jours. Les oeuvres présentées, parmi lesquelles des photographies essentiellement issues des collections du musée compilées dans l’album D’un regard l’Autre. Photographies du XIXe siècle, mettaient en évidence la relativité du regard porté sur le processus de construction de l’identité primitive et l’évolution du regard européen sur l’altérité culturelle tout au long du XIXe siècle jusqu’aux années 1930, moment qui coïncide avec l’apparition de l’ethnologie académique française, fondée, entre autres, par Paul Rivet, Henri Rivière et Marcel Mauss. Ce projet permettait, déjà, de constater un changement dans le statut de la photographie, suggérant un glissement du document à l’oeuvre, de la réalité représentée au monde regardé par le photographe. Auparavant, quand les photographies étaient conservées dans la photothèque du musée de l’Homme de Paris, toutes les images avaient subi un même traitement archivistique qui répondait à une logique documentaire. Elles avaient été collées sur un même type Par Hasan López Sanz de carton sur lequel on inscrivait d’abord la localisation géographique, puis l’identification du groupe ethnique et, parfois, une note explicative qui pouvait provenir de sources très diverses : annotations fournies par le photographe ou extraits de textes de publications dans lesquelles l’image était reproduite ou évoquée. D’autre part, on mentionnait ensuite sur le carton la date de réalisation du cliché (si elle était connue), ainsi que le contexte et l’identité de l’ethnographe ou du photographe qui avait pris la photo ou l’avait donnée au musée. Comme l’a signalé Christine Barthe, responsable scientifique de l’unité patrimoniale Photographie, « ce procédé tend à montrer la photo comme un objet récolté lors d’une excavation, un fragment de réalité objective, et non comme la vision d’un individu ».1 Le réalisme photographique qui appréhendait l’image comme un reflet de la réalité permettait de mettre toutes les photographies sur un pied d’égalité en leur conférant un sens, et le simple fait de les incorporer à une archive photographique appartenant à un musée d’anthropologie les convertissait en documents susceptibles d’être utilisés à des fins d’analyse et de diffusion du savoir. Tout ceci changea en 1998,2 lorsqu’un nouveau système de classement mettant l’accent sur l’identité du photographe fut adopté, distinguant l’oeuvre du document. Ce changement était une conséquence logique en accord avec l’époque. D’un côté, on prenait conscience de la formule de Walter Benjamin selon laquelle, dans le domaine de la photographie, l’oeil qui regarde à travers l’appareil libérait la main « des obligations artistiques les plus importantes ».3 De l’autre, on acceptait l’une des thèses de l’anthropologie déconstructiviste nord-américaine ; celle qui affirmait la nécessité, inhérente à la discipline même, de faire comprendre à l’ethnographe son rôle d’intermédiaire entre les cultures ; de lui faire comprendre qu’il est un « auteur » qui construit des identités fondées sur une interprétation qui est toujours intéressée, dans une certaine mesure.4 Il n’y a rien d’étonnant FIG. 1: Musée du quai Branly, vue de la boîte d’arts graphiques sur le plateau des collections. © musée du quai Branly, photo : Cyril Zannettacci.


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