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131 rituelles –, certains faisant l’objet d’un commerce ou de troc. Chez les peuples de l’intérieur de l’île, le savoir-faire permettait d’accéder à un certain statut et, le peuple de Bornéo sachant reconnaître la beauté, les meilleurs artisans – y compris les tresseurs – pouvaient acquérir une notoriété locale à travers leur travail, même s’il s’agissait d’agriculteurs ordinaires se livrant à une activité jugée ordinaire, elle aussi, un peu comme le tricot ou le matelassage en Occident. En effet, Heidi Munan et Janet Rata Noel remarquent que chez les Iban, « les grandsmères d’aujourd’hui se plaignent parfois que leurs petites-filles, qui sont allées à l’école, sont assez inutiles – elles ne savent pas cuisiner, s’occuper des bébés, ni même fabriquer un tapis ! » (Munan et Noël, 2012). À Bornéo, comme ailleurs dans les sociétés traditionnelles, l’artisanat peut faire l’objet de certaines restrictions : tout le monde ne peut pas fabriquer n’importe quel objet. Cette division du travail est souvent fondée sur le genre, et les règles va- BORNEO rient selon les régions. De telles divisions peuvent être normatives ou prohibitives – à savoir, régies par un ensemble d’obligations ou de tabous – ou simplement une disposition prise en fonction de la disponibilité des membres de la famille. Il existe un fort contraste entre les techniques orthogonales et diagonales (ou droites et obliques) utilisées dans le cadre du tressage de tapis et de paniers (Bléhaut, 1997). En général, les tapis pour sols durs tressés avec du rotin (enrichi dans certains cas avec des bandes d’écorce) sont créés par les hommes au moyen d’un tissage orthogonal, parfois sur une structure, tandis que les tapis unis et ceux soigneusement décorés sont tissés de façon croisée par les femmes presque toujours en diagonale, ou en oblique, sans utiliser de métier à tisser. Ces derniers sont habituellement tressés avec du rotin, bien que cette technique diminue au niveau local en raison de la déforestation de ces dernières années, mais d’autres fibres sont aussi traditionnellement utilisées, comme le pandanus ou le bemban (un roseau qui pousse dans les zones marécageuses). Quelle que soit la fibre utilisée, une partie est séchée pour obtenir des couleurs contrastées. La combinaison rencontrée le plus souvent est noir / brun foncé sur blanc crème. Le brun moyen est occasionnellement utilisé pour obtenir la teinte foncée. Un rouge carmin appelé sang de dragon est parfois incorporé, bien que rarement utilisé pour les tapis. Les tapis décorés en blanc sur blanc sont fabriqués en tressant des brins dont la face interne est tournée vers le haut avec des brins dont la face externe est tournée vers le bas. La confection de tissu est généralement une activité réservée aux femmes à Bornéo et fait parfois l’objet de tabous. On ne comprend pas bien la relation complexe entre le tissage du tissu et le tressage des tapis, susceptible de varier d’un groupe à l’autre. Les Iban sont connus pour partager des motifs entre leurs textiles et leurs travaux de tressage (Munan et Noël, 2012), mais il ne s’agit pas nécessairement de la norme ailleurs. La transmission du savoir en matière de tressage est à la fois verticale – de mère en fille au sein de la famille ou, de manière plus générale, de génération en génération au sein d’une communauté – et latérale, par le biais de contacts entre les communautés. Dans le premier cas, on favorise les pratiques conservatrices (Tillotson 2012), alors que dans le second, c’est le changement qui est encouragé. Bien que les artisans retien- FIG. 16 : Un tapis peu courant avec des « carreaux » extrêmement grands. Origine inconnue. Rotin. 185 x 103 cm. Collection J. B. Spurr. Photo : D. Bonstrom.


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