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DOSSIER 122 grande encore par l’utilisation d’une forme imbriquée dans une autre. J’étais sidéré par le savoir-faire requis pour réaliser ces sculptures enchâssées. (fig. 24) Les sociétés soi-disant primitives étaient bien souvent tout aussi avancés dans leurs techniques que les sociétés dites développées. La peinture sur ces oeuvres était très séduisante, mais pour moi la décoration sur une sculpture pouvait aussi distraire de l’impact tridimensionnel d’une forme.21 Les croquis que fit Moore de la figure malangan du musée montrent à quel point il tentait de décortiquer la complexité des structures internes de la pièce, de comprendre comment ses structures fonctionnaient en termes de composition et agissaient sur le rapport entre la partie visible et le noyau dur. Les dessins expriment également sa perception des mouvements à l’oeuvre dans la sculpture et comment il pourrait les transcrire dans ses propres oeuvres. (fig. 25) Toutes ces pensées se retrouvent dans son ouvrage Upright Internal and External Forms, publié en 1951 (fig. 26). Au début des années 1950, l’ampleur prise par les commandes publiques est telle que Moore a besoin d’aide dans son atelier : il recrute le jeune artiste Anthony Caro. Plus tard, Caro deviendra célèbre en créant des sculptures métalliques faites d’assemblages de plaques et de poutres d’acier, souvent peintes avec des couleurs monochromes et brutes. Comme Moore, Caro s’intéresse à la sculpture non occidentale, y compris l’art africain et océanien, mais il est tout particulièrement inspiré par l’art de la Nouvelle-Irlande, tant comme artiste que comme collectionneur. L’art de la Nouvelle-Irlande fut une révélation pour lui, « car il est ouvert et fermé dans le même temps. Les meilleures pièces sont très fortes – les formes sont inventives et compliquées à la fois, sans jamais perdre de leur unité. La première pièce que j’ai acquise était une tête malangan. Il y a des époques et des lieux où l’on ressent que la sculpture faisait partie intégrante de la culture – les sculptures de la Grèce ancienne, les bois sculptés de l’Afrique de l’Ouest, les bronzes Chola au sud de l’Inde. C’est le cas pour les sculptures de la Nouvelle-Irlande – il s’agit d’un langage naturel, la manière dont ces peuples s’exprimaient. Je ne collectionne pas uniquement les sculptures de Nouvelle-Irlande, mais les pièces de Nouvelle-Irlande sont sculpturales, libres et inventives, les têtes et les sculptures incluent souvent des poissons et des oiseaux sur la même pièce. J’ai acquis ma dernière pièce sans socle. C’est une pièce verticale avec une tête de cochon, un oiseau et un poisson. Je l’ai placée à l’horizontale sur un coffre de mon salon, et même à l’horizontale, elle était merveilleuse. Elle est fermée et ouverte, élancée et massive. Et en la regardant, cette pièce a tellement de présence qu’elle me force à atteindre ce niveau dans mon propre travail » 22 (fig. 27). De nombreux musées à travers le monde détiennent des collections d’objets de l’archipel Bismarck, soit acquis dès les premiers contacts au XIXe siècle, soit reçus ou achetés plus tard de « seconde main ». Le musée de Brighton a toutefois une collection d’une trentaine d’objets qui comprend non seulement ceux datant des tout premiers contacts, dans les années 1880, mais également des objets qui ont été réalisés tout au long du XXe siècle. Leur célèbre Poisson à grande bouche fait partie de ceux-là. Fabriqué au village de Madina aux environs de 1925, il leur fut donné en 1931 (fig. 28). En 1985, ils firent l’acquisition d’un masque tatanua réalisé par Lanngiri Urban de Langania et plus récemment d’une version contemporaine de leur Poisson à grande bouche malangan par l’artiste Michael Homerang. L’intérêt du musée pour la sculpture de l’archipel Bismarck considérée comme une part importante du patrimoine mondial remonte aux années 1940. Le musée participe à l’exposition « 40 000 ans d’art moderne, une comparaison entre le primitif et le moderne », la toute première du genre, qui se tient à Londres durant l’hiver 1948-1949, une décennie à peine après que Robert Goldwater ait écrit son classique Le Primitivisme dans l’art moderne. Cette exposition révolutionnaire, qui présente Les Demoiselles d’Avignon de Picasso parmi d’autres oeuvres non moins importantes, est la première exploration formelle des relations existant entre l’art européen FIG. 27 : Nord de la Nouvelle-Irlande, masque de danse. H. : 106 cm. Collection Sir Anthony Caro, Londres.


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