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L’ARCHIPEL BISMARCK Nolde, en tant qu’artiste officiel, travaille principalement avec des matériaux faciles à transporter tels qu’aquarelles, crayons de papier, encre de Chine et crayons gras. «Usant de la brosse et du pinceau tel un possédé», 6 il réalise de nombreuses aquarelles : visages, têtes, silhouettes et scènes de la vie villageoise. Il est également fasciné par l’abondante flore. Une brillante teinte tropicale vient rehausser sa vibrante palette de couleurs. Sur une période de plusieurs semaines entre mars et avril 1914, il peint dix-neuf larges toiles dans un atelier de fortune à Kavieng, au nord de la Nouvelle-Irlande. Sur les îles, tout à son désir de connaître des populations vierges de tout contact avec la civilisation occidentale, Nolde part à la recherche de cultures primitives et de « peuples préhistoriques 109 ». « En tant qu’individu et artiste, j’ai toujours été intéressé par tous les stades de l’existence humaine, de sa nature originelle jusqu’à sa dégénérescence. Avec le voyage dans les mers du Sud, j’ai pensé avoir traité du stade premier. La richesse des expériences vécues pendant ce voyage me sera à jamais présente. » 7 (fig. 7). Tout au long de sa vie, 8 Nolde fut un collectionneur acharné d’objets d’art indigène qu’il intégra dans nombre de ses oeuvres. « Une passion quasi enfantine s’était emparée de moi. Il me fallait des petites figurines et objets pour mes natures mortes. J’achetai des objets ici et là, plus que nécessaire. Une petite collection finit par s’accumuler. » Il acheta ces objets, parmi lesquels un certain nombre de sculptures provenant de l’archipel Bismarck, sur place et dans ses voyages à l’étranger. Une figure uli rapportée de Nouvelle Irlande figure dans un de ses tableaux les plus importants. Une oeuvre conçue et achevée alors qu’il est encore tout entier habité par son expédition dans les mers du Sud. Dans Nature morte H (Grand Tamburan Moscow Ensemble) 1915 (fig. 8), Nolde se trouve à l’apogée de sa production expressionniste. Et comme dans nombre de ses oeuvres, il adapte la taille des éléments graphiques aux besoins de sa composition. Bien que le groupe de porcelaines russes ait une taille exagérée, il est présenté de dos, permettant à la face grimaçante de la figure uli de capter pleinement l’attention du spectateur. Berlin, dans les années 1920, est une ville incroyablement vivante. La capitale de Weimar donne naissance à des mouvements architecturaux, musicaux, scientifiques, cinématographiques et bien sûr artistiques. La photographie aussi attire FIG. 5 : Catalogue du Museum Godeffroy, Hambourg 1881, pl. 13. Artefacts des îles Kaniet. pour devenir presque une véritable industrie au moment du déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914. Administrateurs, marchands, scientifiques, musées et aventuriers en quête de prestige, de pouvoir et bien sûr d’argent rivalisent entre eux pour procurer à un public demandeur les créations les plus spectaculaires, les plus extraordinaires, et cela à la gloire et au nom de la colonie impériale du Kaiser bien-aimé. C’est dans l’une des institutions allemandes les plus réputées, le Museum für Völkerkunde à Berlin, que l’expressionniste Emil Nolde passe plusieurs mois d’hiver en 1911 et 1912, faisant des croquis, dessinant des sculptures provenant d’Afrique, des Amériques et des mers du Sud. Il revient tout juste d’un séjour sur la côte belge où il a rencontré James Ensor, dont les célèbres peintures de masques l’ont fortement marqué. C’est parallèlement à ses études au musée, et les étonnants visages d’Ensor encore bien en tête, que Nolde peint Nature morte aux masques,3 une série dans laquelle se perçoit son amour de la couleur tout autant que l’urgence brute des peintres primitifs. L’artiste écrit : « La radicalité primitive, l’expression intense et souvent grotesque du pouvoir et de la vie dans les formes les plus simples sont probablement ce qui nous procure une telle joie dans ces objets d’art aborigènes. »4 La richesse de cet art émeut si profondément Nolde qu’il songe même à écrire un livre dont le titre aurait été L’Expression artistique des peuples indigènes.5 À l’automne 1913, Nolde et sa femme Ada décident de se joindre à une expédition officielle du Bureau colonial impérial à l’archipel Bismarck, expédition qui a pour mission l’étude des diverses maladies et épidémies sévissant au sein des populations locales, l’administration coloniale ayant remarqué une nette détérioration de l’état de santé des travailleurs, qui met sérieusement en péril la croissance économique de la colonie. À Nolde échoit « la tâche libre et spécifique » d’étudier la démographie et les caractéristiques de la population. Après des séjours en Russie, en Chine et au Japon, les membres de l’expédition atteignent leur destination finale, Rabaul, la capitale de la colonie. Au départ, les recherches médicales sont menées aux alentours de la proche péninsule Gazelle et de ses environs, mais plus tard l’équipe élargit son champ de recherches à d’autres sites de l’archipel et aux îles voisines. FIG. 4 (page de gauche) : Proue de canoë de Nouvelle-Irlande, H. : 24,5 cm. Ex. Charterhouse School, Angleterre.


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