107 De même que les autres créatures de l’apocalypse, les serpents de mer grotesques, démoniaques et émouvants ont dû trouver un écho auprès du public de cette époque qui les a sans doute perçus comme véridiques, alimentant les idées reçues en matière d’exotisme et d’inconnu. De la fin du XVIIIe jusqu’au début du XXe siècle, naturalisme et authenticité sont les maîtres mots, alors que les découvertes, les classifications et l’analyse d’un matériau culturel nécessitent une imagerie précise et des documents scientifiques. Les arts indigènes sont dépeints de manière à rendre compte de l’habileté et du savoir-faire de leurs auteurs, tels les dessins de Sarah Stone représentant les objets de l’expédition de Cook, ou encore à montrer leur nature dégénérée, compte tenu de la supériorité morale de tout ce qui est chrétien. L’artiste qui représenta le pasteur John Williams surveillant les idoles déchues de Rarotonga sur le pont du navire (fig. 2) n’avait pas besoin de métaphores visuelles supplémentaires pour témoigner du pouvoir de la foi du roi d’Angleterre. 2 Tandis que les canons artistiques changent – des visions fantasmées d’une Arcadie apollinienne à la rigide taxinomie des anthropologues darwiniens –, le propos est le même. Les artificial curiosities deviennent des objets de curiosité indigènes, puis des échantillons scientifiques (fig. 5). Durant la première décennie du XXe siècle, un groupe d’artistes et d’intellectuels entrent en relation avec un art non eu- FIG. 2 : Henry Anelay, aquarelle, vers 1838 - 1840. Collection Rex Nan Kivell, Bibliothèque nationale d’Australie, Canberra. ropéen dans un élan de transformation radicale. Non plus examinés d’un point de vue anthropologique et à des fins d’étude, les objets prennent une valeur intrinsèque. Le dialogue entre l’objet et son spectateur se transforme. Ces objets font écho à une créativité émanant du plus profond de l’âme, ils sont le reflet de ce que ce groupe tente justement de puiser dans son intériorité et ses visions propres. Liberté d’expression, liberté spirituelle, liberté sexuelle sont l’essence de la nature primitive de ces arts, dont on découvre dans la première décennie du siècle qu’ils sont en réalité apparentés à ceux du monde entier. Toutefois, tous les arts non occidentaux n’exerceront pas le même attrait et cela tout autant en raison d’un hasard historique qu’à cause de leur caractère propre. Tandis que les objets de l’archipel Bismarck font leur chemin dans les musées occidentaux dès les années 1830, avec des collections en Angleterre constituées par l’administrateur Hugh Romilly et le missionnaire George Brown, et en Australie par le marchand Thomas Farrell, ce n’est que dans la période où les îles se trouvent placées sous administration coloniale allemande que ces objets d’artisanat commencent véritablement à susciter l’intérêt, imprimant une marque plus profonde dans la conscience européenne. Débutant avec l’activité des comptoirs marchands de Goddefroy et Hernsheim au commencement des années 1870, la collecte et la dispersion des objets en Allemagne vont croissant FIG. 3 : Isaac Gilsemans, gravure, canoë, îles Tabar, 1643.
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