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Visages péruviens FIG. 9 : Détail d’une tapisserie tissée ornée de personnages « volant » et de félins, Chimu, Côte nord, Pérou, 1100 – 1460. Laine de camélidé. 50,8 x 81,3 cm. Collection privée, Tarreytown, New York. FIG. 10 : Anders Jensen Bundgaard (1864-1937), fontaine de Gefjon, Copenhague, 1897–1899 / 1908. Bronze. Photo © Daderot. Les détails demeurent assez vagues, mais l’image spectaculaire, et récurrente dans l’art, du « visage du soleil » présente dans la culture nazca revêt dès lors une importance particulière car elle apparaît comme un corps céleste doté de traits de type humain (fig. 6 et 7). Une telle représentation nous conduit vers une autre réalité pouvant éclairer le sens des visages de type humain figurés sur les textiles : le chamanisme. En effet, la tradition quechua comporte une multitude d’exemples de métamorphose de l’homme en animal, manifestée par l’adoption d’attributs zoomorphes. Ceci est particulièrement évident dans la céramique nazca fig. 3, qui représente des figures surnaturelles munies de larges ailes transportant des prisonniers. Cette croyance dans le caractère interchangeable d’éléments anthropomorphes et zoomorphes se rapproche de celles de plusieurs peuples indigènes d’Amérique du Nord, pour qui certains animaux pouvaient être associés à des personnes spécifiques, tels l’ours qui serait lié au chaman, le puma au guerrier et le loup à l’éclaireur. L’idée de passage entre des formes humaines et animales est un thème récurrent dans les religions et les pratiques artistiques qui a traversé les âges et les cultures du monde entier. Il suffit de se promener le long de la mer à Copenhague pour se retrouver face à la majestueuse sculpture-fontaine de la déesse Gefjon avec ses quatre boeufs fougueux, qui, selon la mythologie, n’étaient autres que ses fils qu’elle avait transformés en boeufs afin de labourer les terres de Seeland (fig. 10). Ce même bord de mer abrite également la célèbre « Petite Sirène », créature iconique en transition, mi-femme, mi-poisson. Pour en revenir aux cultures précolombiennes de l’Amérique, cette imagerie de la transformation d’un humain en animal était des plus répandues et faisait certainement référence à la capacité du chaman à se déplacer dans le ciel, sur la terre et sur l’eau, et à travers les royaumes des animaux, des hommes, des ancêtres et des dieux, afin de favoriser et préserver le bien-être de son peuple (fig. 8 et 9). Sans informations de leurs créateurs ou d’autres membres de ces cultures anciennes, il est difficile également de faire la différence entre un visage humain ordinaire et un autre possédant des attributs divins. Dans notre propre Antiquité classique, les divinités comme Apollon, Aphrodite et Diane sont habituellement représentées sous une forme humaine. Seules les références littéraires s’y rapportant permettent, souvent par la mention de caractéristiques physiques particulières, de préciser leur statut divin. Malgré cette difficulté, il semble plausible de supposer que certains de ces personnages fantastiques, voire même des figures issues d’hallucinations, n’étaient pas des êtres mythologiques ni des chamanes, mais des figures humanoïdes que l’artiste aurait affublées d’attributs empruntés au monde animal du Pacifique afin de suggérer leur statut divin. Nous connaissons peu de choses sur les divinités péruviennes. Nous pensons qu’il existait des divinités masculines et féminines, comme à notre époque classique, bien que les représentations artistiques en apportent rarement la preuve. Mais le cas qui suit n’est pas isolé. Si l’on se tourne vers les sociétés traditionnelles d’Afrique et si l’on observe, par exemple, le personnage sculpté qui orne le sommet des bâtons de paysan senufo, l’on voit que ce dernier a une poitrine triangulaire clairement notée : seul signe explicite indiquant que le visage cubique et asexué est bien celui d’une femme (fig. 11). Mais ces repères, permettant tout de même de préciser le genre des personnages, sont presque inexistants dans l’iconographie des textiles anciens FIG. 11 : Détail d’un bâton d’agriculteur tefalipitya ou daleu, Senufo, Côte d’Ivoire. H : 139 cm. Collection privée.


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