le prouve le récipient nazca fig. 3, les céramiques d’une même époque pouvaient aussi être dotées d’une imagerie fantastique que l’on peut qualifier de « réaliste sur le plan intellectuel », en raison de la subjectivité qui entre en jeu. Les tisserands péruviens ornaient souvent leurs créations de formes humaines – et notamment des visages – mais l’on peut raisonnablement affirmer qu’ils n’ont jamais eu recours au réalisme anatomique détaillé que l’on rencontre dans les céramiques. C’est assez surprenant, car le savoir-faire exceptionnel de ces artistes leur aurait incontestablement permis de broder ou tisser un visage avec la même maîtrise réaliste que celle dont faisaient preuve les artisans de l’Europe médiévale et de la Renaissance. Pourtant, ils préféraient en général se cantonner à la représentation des éléments essentiels, comme les yeux, le nez et la bouche (mais rarement les oreilles). Recevaient-ils des directives d’une quelconque autorité ou était-ce le fruit d’un choix artistique subjectif ? Bien que les cultures péruviennes à qui l’on doit ces textiles n’aient pas toutes reposé sur une structure hiérarchique, contrairement aux Incas chez qui ce type d’organisation n’est plus à démontrer, il semble toutefois que les sociétés dont elles découlent aient été régies par un système autoritaire. Le manque de documents précis sur ces cultures sans écriture nous condamne à n’avancer des hypothèses sur la façon dont le pouvoir en place définissait la pratique artistique – et la manière de représenter le visage – et la forme à travers laquelle les artistes – essentiellement des femmes – pouvaient donner libre cours à leur inspiration. La raison d’être de ces textiles est tout aussi énigmatique du fait de l’absence d’écriture propre à la période précédant la conquête du Pérou par les Espagnols en 1532-1533. Contrairement à d’autres civilisations anciennes dans le monde, pas une seule trace écrite équivalente à la pierre de Rosette ne permet de mettre en lumière les significations particulières des nombreuses formes et expressions du visage, qu’elles aient été tissées dans un style figuratif, pictographique ou abstrait. Quelques vagues indices existent néanmoins. Les premiers sont fournis par la langue quechua, qui remonte à la culture inca et est encore parlée aujourd’hui en Amérique du Sud par des millions d’indigènes vivant dans la cordillère des Andes. Elle n’a été rapportée officiellement qu’au XVIe siècle, d’abord par le chroniqueur indigène Guaman Poma de Ayala (c. 1535-après 1616), puis sous forme de dictionnaire. À son apogée, aux alentours de l’an 1500, l’Empire inca s’étendait du sud de la Colombie jusqu’au Río Bío Bío au Chili et au nord-ouest de l’Argentine. À travers ce territoire immense, certains arawis (poèmes), jaillis (hymnes sacrés) et qashwas (danses avec paroles) quechua livrent des indications très précises sur le mode de pensée andin, bien qu’ils aient été rapportés après la conquête espagnole. Ces témoignages, associés aux cérémonies sacrées évoquant cette époque lointaine et encore célébrées de nos jours, constituent un précieux cadre de référence, bien que limité, pour comprendre les concepts anciens. L’auteur de l’hymne suivant a personnellement accompagné les curacas (chefs) d’un village qui se rendaient au sommet d’une montagne, à 5500 mètres d’altitude, afin de chanter leur éloge du soleil : Inti yayaykuq, orqop patamki qonqorikuyku Ô Soleil, divinité suprême, nous, agenouillés sur la montagne, te vénérons FIG. 3 : Détail d’un vase polychrome avec des figures ailées, Nazca, côte sud, Pérou, 100 – 800. Terre cuite. H. : 17,8 cm. Collection privée. FIG. 1 (PAGE PRÉCÉDENTE) : Détail d’une cape brodée avec de multiples personnages composites, momie 319, nécropole de Wari Kayan, Paracas-Necropolis, Pérou, 100 av. J.-C. – 200 apr. J.-C. Laine de camélidé et coton. 277,5 x 140 cm. Instituto Nacional de Cultura – Museo Nacional de Arqueología, Antropología e Historia del Perú, Lima, inv. #RT-1444. Photo © Daniel Giannoni. FIG. 2 : Vase portrait, Moche, côte nord, Pérou, 200 av. J.-C. – 750 apr. J.-C. Terre cuite. H. : 18 cm. Ex. coll. Alfred Grandidier. Musée du quai Branly, Paris, 71.1887.129.4. Visages péruviens
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