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HOMMAGE Michel Leveau Notre première rencontre avec Michel Leveau date de l’aube des années 1980. Au moment de nous séparer, mon mari lui demanda de voir ses objets à Paris. « Impossible dans l’immédiat » répondit Michel ; René crut à un refus poli ! Mais une belle aventure nous attendait, une invitation au voyage – un parcours de rêve long de trois décennies – parmi les cultures d’Afrique subsaharienne, et la gestation d’une profonde amitié. Nous regretterons ces moments privilégiés de discussion passés à quatre autour d’une table parisienne ou chez nous, où Michel savourait mes desserts… Merci infiniment pour tout cela. 124 Au printemps 1986, nous fûmes invités à deux expositions. Organisée avec la Fondation Dapper, Ouvertures sur l’art africain fut présentée au musée des Arts décoratifs. La seconde, Panorama des figures de reliquaires dites « Kota », l’était au sein d’un hôtel particulier dissimulé par un jardin de bambous. Cet écrin abrita nombre d’expositions inoubliables, centrées sur un peuple à l’instar de Fang, Dogon et Luba ou thématiques telles que Supports de rêve et Cuillers-sculptures, pleines de charme. Le rayonnement de ce lieu phare de la vie culturelle parisienne fut tel que l’aménagement d’un nouvel espace – désormais ouvert aux diasporas africaines – s’imposa. Femmes et Angola en constituent les perles. Brillant polytechnicien et ingénieur des mines, Michel débuta sa carrière au Sénégal. Personnalité polyvalente, ce mécène érudit avait conçu très tôt l’idée de Patrick Sargos J’ai rencontré Patrick Sargos il y a 12 ans par l’intermédiaire de Renaud Riley qui m’avait demandé de lui confier quelques pièces pour les montrer à des collectionneurs. C’est suite à cela qu’une première rencontre eut lieu avec Patrick et Catherine Sargos dans ma galerie. Nous avions alors tellement discuté au sujet de ces pièces que je me suis demandé s’ils venaient vraiment pour un achat ou s’il s’agissait surtout de parler et d’échanger. En effet, leur goût esthétique s’accompagnait d’un intérêt pour la fonction de l’objet dans sa culture d’origine, attitude assez atypique chez les collectionneurs. C’est cette particularité qui a nourri notre relation pendant toutes ces années dans un constant échange autour des objets, avec Catherine et leur fils Nicolas. Peu de collectionneurs d’art africain ont voyagé en Afrique, moins encore y ont vécu. Si ce constat ne détermine nullement une légitimité à collectionner l’art de ce continent, il façonne certainement une approche particulière et une connaissance privilégiées. Les deux séjours, chacun de plusieurs années, que Patrick Sargos a effectués en Mauritanie puis au Sénégal lui ont d’abord fait connaître l’Afrique, avant qu’il ne ressente un intérêt pour la production artistique de ce continent. Bien sûr, le passage à la constitution d’une collection ne s’est pas joué sur cette seule opportunité géographique. Patrick ainsi que sa femme Catherine ont tous deux un passé familial tourné vers l’art sous des formes très diverses. Ce regard ouvert mais néanmoins averti les a orientés au départ vers la collecte d’objets usuels rares et précieux tels que les perles et les coffres mauritaniens, puis vers des formes sculptées très exigeantes telles qu’on en trouve dans les arts du Cameroun et du Nigeria. Leurs souvenirs les plus intenses sont sans doute ceux des soirées passées lors de l’arrivée d’objets envoyés de ces régions et de l’émotion partagée au moment de leur découverte. Pour Patrick, ce plaisir procuré par les oeuvres avait sa contrepartie : il menait une lutte véhémente contre les faux et n’épargnait aucune exposition ou publication qui en contenait. Mais dans ses prises de positions, positives aussi bien que négatives, c’était un vrai plaisir de l’écouter car ses avis étaient toujours réfléchis, précis et argumentés. Cela nous rappelait qu’il n’était pas que collectionneur mais aussi professeur de mathématiques à l’université… Et comme tout bon chercheur, il restait curieux de l’avis des autres et savait écouter. La collection africaine de plus de 200 pièces, constituée en famille sur près de 35 ans, témoigne de cette dimension importante du goût et de la passion de Patrick Sargos : un intérêt jamais démenti pour l’historique des pièces dans leur contexte socio-culturel qui définit la singularité de son regard et de sa démarche. Rendre hommage à Patrick, c’est aussi rendre hommage à l’intégrité, l’honnêteté, la passion et la fidélité. Son indéfectible présence lors de chaque événement lié à l’art africain nous manquera à tous. Didier Claes la création d’une fondation pour les arts africains, sa passion. Homme de projets, notre ami appréciait la conception pour déléguer ensuite à sa remarquable complice Christiane Falgayrettes. En parfaite osmose, accompagnés d’une équipe soudée et fidèle, ils ont pensé une quarantaine d’expositions où l’esthétique régnait en maître. Grâce à leurs magnifiques publications, ils ont aussi accompli un travail de diffusion exemplaire, permettant à de nombreux Africains de prendre conscience de la richesse de leur patrimoine. Selon Maupassant, la vie « se déroule, toujours pareille, avec la mort au bout ». Une nuit funeste de novembre, en homme discret qu’il était, Michel s’en est allé dans ses rêves rejoindre les mânes en terre d’Afrique. Initiateur, il aura bouclé la boucle, quittant la scène en plein montage d’expositions à Gorée et en travaillant sur le canevas d’Initiés. Les aficionados du musée Dapper espèrent que Christiane retrouvera la sérénité et la force de poursuivre l’oeuvre entreprise par son cher époux qui sera là, dans l’ombre comme il l’a toujours été, car ensemble ils regardaient dans la même direction. Anne Vanderstraete


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