MUSÉE À LA UNE
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largement répandue parmi les peuples Sepik-Ramu
dont les sculptures fi guratives représentent et incarnent
des ancêtres allant du récent au primordial
et, en tant que telle, elle occupe une place centrale
dans leur monde visuel et rituel. Le lieu central est
la maison sacrée des hommes où, contrairement aux
masques surtout utilisés pour des danses en public,
les sculptures fi guratives aux cultes secrets sont cachées
à l’abri des regards des non-initiés.
Les sculptures zoomorphes abondent également
dans la région, en particulier celles qui représentent
des crocodiles, des oiseaux, des tortues et des poissons.
Celles-ci refl ètent une reconnaissance totémique.
L’architecture, les instruments de musique,
les ustensiles et les outils étaient tous agrémentés de
sculptures décoratives, d’ornements en fi bre et de
motifs peints. Les décorations corporelles étaient
largement utilisées comme marqueurs de statut et
d’appartenance. Chez les Iatmul, les jeunes hommes
initiés étaient scarifi és dans un lien symbolique avec
l’esprit du crocodile. Des peintures faciales associées
aux totems du clan étaient appliquées tant sur
le visage des vivants que sur les crânes ancestraux
surmodelés.
L’engagement européen structuré vis-à-vis du bassin
du Sepik-Ramu a commencé peu après que l’Allemagne
a établi son autorité sur la région en 1884
en collaboration avec une société privée appelée la
Neuguinea-Kompagnie. Cet organisme mixte public
privé à but lucratif avait été mis sur pied pour
explorer et déterminer quelles ressources exploiter
dans le quadrant nord-est de la Nouvelle-Guinée
baptisé Terre de l’Empereur-Guillaume d’après l’empereur
allemand de l’époque. À cette fi n, la société
avait envoyé un navire à vapeur côtier, le Samoa,
dans l’estuaire du Sepik sous la direction scientifi que
du Dr Otto Finsch. Après avoir emprunté l’estuaire
maritime et rebaptisé toute la rivière « Fleuve Impératrice
Augusta » d’après l’impératrice Augusta de
Saxe-Weimar-Eisenach, Finsch est revenu un an plus
tard et a parcouru une cinquantaine de kilomètres
en amont sur le Sepik, documentant ses découvertes
et constituant des collections de spécimens ethnographiques.
Si l’objectif premier était de trouver des
terres et de la main-d’oeuvre pour le développement
de plantations de coprah, la collecte (et la vente)
d’artefacts est rapidement devenue un moyen viable
de récolter des fonds. Les deux décennies qui ont
suivi ont connu ce qui pourrait être appelé la période
« d’expédition » au cours de laquelle nombre
de périples bien organisés et correctement fi nancés,
tant de manière institutionnelle que privée, ont servi
à sillonner le Ramu et le Sepik à la recherche d’artefacts
suivant la méthodologie de l’anthropologie de
sauvetage adoptée par Adolf Bastian, directeur du
Königliches Museum für Völkerkunde de Berlin, qui
jugeait essentiel de rassembler autant d’objets authentiques
de la culture matérielle avant que l’assaut
de la culture et de la religion occidentales n’anéantissent
les sociétés indigènes fragiles. Des organisations
telles que la Hamburgische Wissenschaftliche
Stiftung (Fondation scientifi que de Hambourg) et le
Field Museum de Chicago, ainsi que de riches entreprises
privées comme celles fi nancées par le comte
Birger Mörner de Suède, sans parler des fonctionnaires
coloniaux locaux comme le gouverneur Albert
Hahl et le capitaine marchand Heinrich Voogdt
se sont littéralement emparés du bassin du Sepik-
Ramu, s’empressant d’emporter un maximum d’éléments
de culture matérielle de civilisations que l’on
pensait bientôt perdues et se faisant concurrence.
Le contrôle administratif allemand du nord-est
de la Nouvelle-Guinée a pris fi n après que la colonie
est tombée aux mains des forces australiennes
en 1914 au début de la Première Guerre mondiale.
Après l’armistice, l’Allemagne s’est vue dépouillée
de toutes ses colonies par le Traité de Versailles.
L’ancienne Nouvelle-Guinée allemande a été assignée
à l’administration australienne et, au cours
des soixante-deux années qui ont suivi, à l’exception
de la période d’occupation japonaise pendant
la Seconde Guerre mondiale, l’Australie et le Commonwealth
ont maintenu leur contrôle sur la région
jusqu’à son indépendance en 1976. L’administration
australienne a apporté une nouvelle perspective
au développement des ressources : les Australiens
étaient plus intéressés par l’extraction minière que
par le développement et la gestion des plantations
et une école différente d’anthropologues est arrivée
pour étudier les peuples Sepik-Ramu. Les anthropologues
culturels Margaret Mead et Gregory Bateson
ont étudié les peuples du moyen Sepik dans
les années 1930 et ont tous deux publié des études
approfondies basées sur leurs recherches. Ils ne s’intéressaient
pas tant à la culture matérielle de leurs
sujets qu’aux structures et nuances sociétales qu’ils
observaient, en particulier celles des peuples Iatmul
et Biwat (Mundugumor), ce dernier issu de la rivière
Yuat, un affl uent du bas Sepik. Ian Hogbin aussi
a longuement détaillé ses observations des peuples